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d’en ressusciter l’enthousiasme. Et tels sont cependant les pieux modèles de catholicisme qu’hier encore on proposait aux catholiques de France. Ces gens-là n’ont-ils pas, en effet, goûté « le fruit âpre et substantiel, » non pas seulement celui de la discussion publique dont M. de Montalembert a la modestie de nous parler, mais aussi déjà ce fruit bien plus savoureux de la guerre civile : Laissez-les faire, ils n’en démordront pas ! Les bons chrétiens que voilà !




UN NOUVEL ÉCRIT DE M. DE SCHELLING.[1]

Si quelque chose peut nous indiquer combien cette crise morale qui éprouve maintenant l’Allemagne est sérieuse et profonde, c’est de voir M. de Schelling lui-même entrer dans le débat et donner son avis. M. de Schelling a pris, jeune encore, la place qui lui appartient dans l’histoire de l’esprit humain, et, depuis tout à l’heure trente ans, il s’obstine à garder un regrettable silence ; on sait par son enseignement, par cet inévitable écho qui se fait autour des vieilles gloires, on sait à peu près les révolutions accomplies dans sa pensée : il ne les a racontées nulle part, et semble hésiter beaucoup avant d’en livrer un témoignage authentique. Une préface mise en tête de la traduction des Fragmens philosophiques de M. Cousin, gage significatif d’une ancienne amitié, le discours d’ouverture prononcé en 1841 à l’université de Berlin, quelques paroles recueillies çà et là dans des occasions publiques, voilà les rares documens que l’illustre vieillard ait jusqu’à présent avoués. On doit comprendre l’intérêt qui s’attache, en Allemagne, à tout ce qui vient de cette plume trop discrète. Disons-le cependant, ne fût-ce que pour constater l’état de l’opinion, les inspirations de M. de Schelling ne sont point acceptées par les hommes d’aujourd’hui comme des révélations suprêmes : l’oracle antique se taisait quand il voulait, et ne perdait rien à n’avoir pas parlé ; le prince de la philosophie germanique s’est tu trop long-temps, et son autorité s’en trouve compromise. Il ne s’agit point ici des détracteurs misérables qui poursuivent avec aussi peu d’intelligence que de pudeur ce noble et charmant génie ; mais, est-ce tort, est-ce justice ? beaucoup d’entre ses plus fidèles admirateurs se demandent tristement s’il y a place au milieu de la génération nouvelle pour cette grande ame solitaire qu’on croirait plutôt enfermée dans son passé. C’est à ceux-là peut-être que M. de Schelling a voulu répondre en écrivant les quelques pages que nous avons sous les yeux ; il a voulu juger son temps, pour prouver qu’il en était encore : quel que soit le jugement lui-même, l’effort est louable et part d’un cœur sincère ; M. de Schelling est là tout entier : « Les choses en sont arrivées à ce point où s’applique la fameuse loi de Solon. ; Quiconque souhaite le bonheur de ses concitoyens, quiconque désire rester avec son siècle et travailler avec lui n’a plus le droit d’être

  1. Nachgelassene Werke von H. Steffens mit einem Vorwort von Schelling.