à peu près le même qu’il y a cinquante ans : d’un côté, des aristocrates qui ont su transformer des démocraties pures en oligarchies véritables ; de l’autre, des révolutionnaires qui veulent l’égalité politique. Mais le temps est venu mêler aux deux partis des fermens nouveaux et leur créer les alliés les plus dangereux : les aristocrates ont appelé le fanatisme à leur secours, et les libéraux sont sans cesse menacés d’être débordés par les factions radicales. Entre les jésuites et les communistes, il reste chaque jour moins de place, et la place chaque jour devient moins tenable pour les gens modérés. Cette année s’élève encore un autre sujet de discorde, et telle en est la gravité, qu’on n’en saurait prévoir toutes les conséquences ; il ne s’agit plus tant du rétablissement des couvens d’Argovie, puisque la question, retirée du recès, ne compte point parmi les futurs tractanda ; il ne s’agit pas même en première ligne d’invoquer la lettre du pacte fédéral contre l’invasion ultramontaine ; il faut avant tout sauver le pacte des atteintes d’une partie de la fédération qui s’essaie à le déchirer.
Depuis 1843, il s’est établi une ligne spéciale entre sept cantons catholiques, malgré les termes précis de la constitution de 1815. Conclue sous la direction de Lucerne, et à l’instigation de M. Siegwart-Müller, la ligue de Rothen, sous prétexte de maintenir la souveraineté cantonale inscrite à l’article 1er du pacte, viole à la fois l’article 6, qui règle ces alliances particulières de canton à canton, et l’article 8, qui commande d’en donner avis à l’autorité centrale. La ligue de Rothen s’est attribué une juridiction propre, une compétence, une politique propres ; elle a son conseil de guerre, qui a fonctionné dans l’échauffourée de Lucerne ; c’est une fédération nouvelle en face de l’autre, et déjà même elle traite à part avec le dehors, s’il est vrai qu’elle corresponde, comme on le dit, avec des agens autrichiens et sardes. Formant seulement un sixième de la population suisse, n’ayant par eux-mêmes que sept voix en diète, les confédérés catholiques seraient certainement battus, soit dans les discussions, soit par les armes, si l’habile influence qui les a réunis en corps offensif au moins autant que défensif n’avait déjà divisé la majorité de leurs adversaires, en y créant ou en y exploitant des positions neutres. A Neufchâtel, à Genève, il est des conservateurs qui redoutent le bruit avant tout, et cèdent toujours au mal, de peur du pire ; il est des doctrinaires qui cachent leur timidité sous les plus pompeuses théories de droit public et de vieille liberté ; les Suisses-Prussiens de Neufchâtel sont trop bons piétistes pour ne pas être un peu ultramontains, et les calvinistes de Genève apprennent de leurs députés, en pleine séance du grand-conseil, tout le bien que les jésuites font chez eux.
Genève et Neufchâtel n’ont point donné d’instructions décisives à leurs mandataires en les envoyant à Zurich, où va s’agiter cette question de la ligue ; Appenzel et Bâle s’annulent par le seul fait de leurs dissensions intérieures ; il est donc probable que la majorité légale devra manquer en diète pour forcer les confédérés à se dissoudre, et ceux-ci sans doute y comptent bien. Rien n’égale pourtant la passion avec laquelle les meneurs dévots du parti s’exaltent et s’enflamment à la seule idée qu’une majorité quelconque prétendit leur imposer l’obéissance ; les armes sont prêtes, et il semble qu’ils se réjouiraient d’avoir à les prendre. C’est en vérité le plus honteux spectacle de ce temps-ci que cette sainte fureur qui soupire après la bataille au nom de la religion, qui rêve la discorde avant de rêver la paix, qui copie les aveuglemens d’un autre âge sous prétexte