tacite pour lui laisser champ libre et libre jeu, a fair play. Sir Robert Peel cependant n’a pas voulu se montrer plus généreux que de raison envers ses successeurs : il leur a légué la grande difficulté plus expressément qu’elle n’a jamais été léguée à aucune administration ; il leur a presque dicté les termes dans lesquels ils auront à traiter avec l’Irlande. Les intentions des whigs étaient assurément libérales ; l’ancien chef des tories les a condamnés à réaliser leurs intentions par des moyens radicaux ; il n’est plus ni demi-mesures, ni palliatifs possibles. L’égalité absolue, l’égalité politique et religieuse entre l’Irlande et l’Angleterre, voilà le but immédiat assigné dès l’abord au ministre qui arrive par le ministre qui s’en va. Le magnifique éloge décerné aux efforts de M. Cobden a pu se prendre pour un encouragement accordé à ceux d’O’Connell ; il semble même que celui-ci ait voulu remercier son adversaire d’autrefois et lui rendre avances pour avances, tant il exalte maintenant ce nom de Peel qu’il a si souvent livré aux grognemens des repealers. Tel est le caractère de sir Robert qu’il ne recule devant aucune extrémité, ses résolutions une fois annoncées ; le langage qu’il tint ce jour-là fit assez d’impression dans le public pour qu’on parlât d’une alliance projetée par sir John Russell avec lord Bentink, afin de balancer cette étrange alliance que sir Robert paraissait offrir aux radicaux. Le cabinet whig n’a pas heureusement à emprunter un concours si mal assorti, et il faut espérer que cette émulation qui pousse les illustres rivaux de réformes en réformes saura toujours être prudente.
L’Irlande est d’ailleurs aujourd’hui l’objet de si bons sentimens, et tous les partis font si bien assaut de politesse à son endroit, que lord John Russell peut impunément oser beaucoup pour elle. Il ne trouvera guère de résistance que dans le vieux torisme irlandais, sur lequel tout le monde s’entend à rejeter les fautes passées, et ce sera lui qui paiera sans doute les frais de la guerre. C’est tout au plus déjà si les orangistes ont célébré cette année la victoire de la Boyne ; le dernier jour de l’ascendance protestante n’est certainement pas loin, et de purs tories comme lord John Manners, des conservateurs comme les jeunes membres du cabinet vaincu, M. Herbert et lord Lincoln, sont aussi franchement décidés que les whigs à conspirer la ruine de l’antique système. Pendant que sir Robert Peel défendait ce bill du couvre-feu, qui n’était vraiment qu’une précaution transitoire, lord Lincoln, à peine nommé secrétaire pour l’Irlande dans les derniers jours du ministère tory, se conciliait tout d’abord les sympathies irlandaises en proposant ses bills d’amélioration du fermage ; O’Connell le félicitait publiquement, et les fils du grand agitateur, les orateurs du rappel, les radicaux eux-mêmes, et parmi ceux-ci M. Hume, assistèrent au banquet qu’on lui donna pour le complimenter d’un avènement si bien inauguré. Par une coïncidence assez piquante, lord Lincoln n’était déjà plus ministre quand la fête eut lieu. O’Connell montre au moins autant de ménagement pour le gouvernement nouveau que de gratitude pour le gouvernement déchu ; il y a une modification évidente dans sa propagande, et la surveillance jalouse de la jeune Irlande ne s’y est pas trompée. Il porte toujours bien haut le drapeau du rappel ; il le cloue, dit-il à son mât, nais il en développe peu à peu un autre qui finira par couvrir le vieux pavillon trop usé. Il ne demande plus le rappel comme condition première de son silence ou de son amitié ; il réclame un certain nombre de réformes positives, toutes très praticables avec l’aide des institutions actuelles ;