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LES FEMMES DU CAIRE. 29

Ensuite on s’occupa de me coiffer, ce qui n’était pas difficile ; la rue était pleine de marchands de tarbouchs et de femmes fellah dont l’industrie est de confectionner les petits bonnets blancs dits takieh, que l’on pose immédiatement sur la peau ; on en voit de très délicatement piqués en fil ou en soie, quelques-uns même sont bordés d’une dentelure faite pour dépasser le bord du bonnet rouge. Quant à ces derniers, ils sont généralement de fabrication française ; c’est, je crois, notre ville de Tours qui a le privilège de coiffer tout l’Orient.

Avec les deux bonnets superposés, le cou découvert et la barbe taillée, j’eus peine à me reconnaître dans l’élégant miroir incrusté d’écaille que me présentait le barbier. Je complétai la transformation en achetant aux revendeurs une vaste culotte de coton bleu et un gilet rouge garni d’une broderie d’argent assez propre : sur quoi le peintre voulut bien me dire que je pouvais passer ainsi pour un montagnard Syrien veni de Saïde ou de Taraboulous. Les assistans m’accordèrent le titre de tchéléby, qui est le nom des élégans dans le pays.

XI. — LA CARAVANE DE LA MECQUE.

Je sortis enfin de chez le barbier, transfiguré, ravi, fier de ne plus souiller une ville pittoresque de l’aspect d’un paletot-sac et d’un chapeau rond. Ce dernier ajustement paraît si ridicule aux Orientaux, que dans les écoles on conserve toujours un chapeau de Franc pour en coiffer les enfans ignorans ou indociles : c’est le bonnet d’âne de l’écolier turc.

Il s’agissait de ce moment d’aller voir l’entrée des pèlerins, qui s’opérait déjà depuis le commencement du jour, mais qui devait durer jusqu’au soir. Ce n’est pas peu de chose que trente mille personnes environ venant tout à coup enfler la population du Caire ; aussi les rues des quartiers musulmans étaient-elles encombrées. Nous parvînmes à ga- gner Babel-Fotoub, c’est-à-dire la porte de la Victoire. Toute la longue rue qui y mène était garnie de spectateurs que les troupes faisaient ranger. — Le son des trompettes, des cymbales et des tambours, réglait la marche du cortège, où les diverses nations et sectes se distinguaient par des trophées et des drapeaux. Pour moi, j’étais en proie à la préoccupation d’un vieil opéra bien célèbre au temps de l’empire ; je fredonnais la Marche des chameaux, et je m’attendais toujours à voir paraître le brillant Saint-Phar. Les longues files de dromadaires attachés l’un derrière l’autre, et montés par des Bédouins aux longs fusils, se suivaient cependant avec quelque monotonie, et ce ne fut que dans la campagne que nous pûmes saisir l’ensemble d’un spectacle unique au monde.

C’était comme une nation en marche qui venait se fondre dans un