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crise intérieure et à une crise européenne ! Le triomphe de l’opposition serait inséparable du réveil de l’anarchie et de la menace d’une guerre générale ! Les conséquences d’un pareil exposé sont flagrantes : le corps électoral doit repousser tous les candidats de l’opposition, à quelque nuance qu’ils appartiennent ; il doit accroître indéfiniment la majorité qui a soutenu un ministère auquel la France à tant d’obligations.

Toutefois, au milieu même des éclats d’un zèle si fougueux, d’autres amis du ministère, plus avisés, plus prévoyans, disent, tout bas il est vrai, qu’il ne serait pas bon pour le cabinet d’avoir dans la chambre prochaine une majorité trop forte. Il pourrait alors se livrer à des entreprises, se passer des fantaisies qui, pour l’avenir, ne seraient pas sans péril, il serait à craindre qu’en présence d’une chambre trop complaisante, le pays ne finît par se charger lui-même du rôle de la résistance, et qu’à une autre époque une réaction générale ne vînt renverser non-seulement tel personnage ministériel, mais les bases même de la politique qui triomphe aujourd’hui. — Le ministère goûte peu de semblables considérations, et ce n’est pas là le danger qui le préoccupe. Il croit au contraire qu’il ne saurait compter autour de lui trop d’appuis, trop de dévouemens. Il se rappelle à quelles aventures fâcheuses l’a exposé dans de graves conjonctures la faiblesse numérique de sa majorité, et il ne veut plus retomber dans un inconvénient qui lui a causé de si pénibles émotions. Aussi, entre un conservateur indépendant par sa fortune, sa situation, son caractère, et un candidat qui lui devra tout, son existence administrative aussi bien que son siége au parlement, ne cache-t-il pas ses préférences ; elles sont pour le dernier candidat, sur la reconnaissance duquel, en toute occasion, il pourra tirer à vue. Le ministère pense qu’on a des majorités triomphantes plutôt avec la quantité des votes qu’avec la qualité des votans. Ce point de vue ne saurait être celui des électeurs, et voilà comment des luttes intestines peuvent avoir lieu dans le cercle de la même opinion. Naturellement les électeurs aiment mieux porter leurs suffrages sur des hommes considérables : ici leur intérêt s’accorde avec leur dignité. Aussi est-il probable qu’en maints endroits le corps électoral nous enverra des hommes indépendans et nouveaux : envers eux, le ministère a la défiance qu’inspire l’inconnu.

Si les apologistes du cabinet ne se font pas faute d’impétueuses sorties contre l’opposition, faut-il être surpris que celle-ci n’ait pas la répartie moins vive et la personnalité moins amère ? L’opposition s’est donné le plaisir de passer en revue tous les actes de la politique ministérielle depuis quatre ans. Elle a insisté sur toutes les fautes, sur toutes les faiblesses diplomatiques qui, dans l’enceinte des chambres, ont soulevé de vifs débats. Elle a refusé de prendre au sérieux la circulaire adressée aux préfets par M. le ministre de l’intérieur, non qu’elle ne reconnaisse que cette pièce ne soit en elle-même conforme à tous les principes constitutionnels, mais elle dit qu’on a deux langages : l’un pour la publicité, l’autre pour les confidences et les instructions intimes. Tout cela est peu poli ; mais les convenances ont-elles été mieux gardées dans les attaques dont le centre gauche et la gauche dynastique ont été l’objet ? Et s’il y avait à donner la palme de l’invective, ne pourrait-on pas dire que les journaux du gouvernement laissent souvent bien loin derrière eux lest journaux de l’opposition ? On n’a qu’à lire les factums publiés depuis quelques jours contre le président du 1er mars.