— Il n’y a pas encore une année, continua-t-il, Cayetano était marié à une femme qu’il aimait passionnément et qui le trompait. La maison qu’il habitait à Hermosillo était voisine du Cerro de la Campana, dont vous connaissez la singulière propriété. Un affidé de l’amant de sa femme, mis en vedette sur le Cerro, guettait le retour de Cayetano vers le soir, et avertissait les coupables en frappant trois coups d’une certaine façon À ce signal, l’homme s’esquivait par une porte de derrière. Un ami officieux comme il y en a tant avertit Cayetano de ce qui se passait. Or, un soir, et je le tiens de cet ami lui-même, le Cerro retentit d’une façon si lugubre, si étrange, que les deux amans tressaillirent d’horreur au cri d’agonie qui accompagna ce retentissement. C’était l’affidé dont Cayetano écrasait la tête sur les pierres sonores. Cayetano rentra tranquillement chez lui : avant tout, son honneur devait être intact. Un mois après, il revint avec cette affreuse balafre que vous lui connaissez, mais l’amant de sa femme ne se retrouva plus. Quelques jours plus tard, le bruit se répandit qu’elle-même venait d’être trouvée égorgée parmi les décombres de sa maison. Cayetano fut mis en prison, et comparut devant le juge ; mais, au lieu de chercher à s’excuser en révélant l’adultère dont ce meurtre était le châtiment, il soutint, au risque du garrote, qu’il n’avait aucun motif pour tuer sa femme, et avoua seulement qu’il se trouvait prodigieusement agacé dans ce moment-là. Le juge trouva l’affaire très mauvaise, comme vous le pensez.
— Pour Cayetano ? cela se conçoit aisément.
— Non, pour lui-même, reprit l’Anglais ; vous connaissez l’impunité dont jouissent les pauvres dans ce pays. Cayetano n’était pas riche, et, qu’il fût condamné ou acquitté, on ne pouvait espérer de lui aucune rançon. Aussi le juge fut-il très brutal à son égard ; il lui dit d’un ton furieux qu’il ne fallait rien moins qu’une semblable excuse pour le faire absoudre, et le renvoya, mais non sans l’avertir qu’elle ne serait plus admise une seconde fois. Depuis ce temps, ceux qui ont ouï parler de ce meurtre et des motifs qui ont armé l’assassin éprouvent un certain malaise quand ils le voient agacé, ce qui lui arrive quand il pense à la femme qui l’a trahi ; or, j’ai de bonnes raisons de croire qu’il y pense souvent. Quant au retentissement du Cerro, il est toujours regardé par lui comme un lugubre souvenir ou comme une offense impardonnable. Pour effacer toutes les traces du passé, Cayetano n’a pas craint de brûler sa cabane de ses propres mains.
— Et son officieux ami ? demandai je.
— Je ne sais, répliqua l’Anglais en souriant, si la conduite ferme du juge à l’égard de Cayetano l’intimida, ou s’il se réserve plus tard une occasion de régler son compte avec lui ; le fait est qu’il vit encore, et cependant Cayetano, tel que je le connais, Cayetano rongé par le secret fatal qu’il croit avoir noyé dans le sang, Cayetano laissant vivre un