qu’il portait, s’était muni d’une paire de pistolets dont les pommeaux ciselés soulevaient le couvert de ses fontes. Je dois dire qu’avec sa longue barbe, ses vêtemens poudreux, sa panoplie, il n’était presque pas reconnaissable. Nous nous mîmes en route. Il était environ cinq heures de l’après-midi quand un sourd murmure vint frapper nos oreilles. Quoique, dans un rayon fort étendu, on ne remarquât pas un arbre, ce bruit était semblable à celui de feuilles et de branches agitées par le vent ; nous en connûmes bientôt la cause. Nous étions arrivés près de la mer, et nous ne tardâmes pas à apercevoir ses flots qui bouillonnaient, puis l’île sablonneuse du Tiburon, qui se montra peu à peu : arrivés à la crête des falaises, nous pûmes mesurer de l’œil le chenal étroit qui sépare cette île de la terre ferme. Ce chenal est large à peu près d’une lieue.
Nous mîmes pied à terre. Cayetano sifflait entre ses dents d’un air impassible, tandis que l’Anglais, tirant de sa poche une lunette d’approche, examinait avec attention l’horizon occidental. La pomme du mât de hune d’un petit navire lui apparut derrière un rideau d’arbres qui cachaient la goëlette dans la crique où elle était ancrée. Quand Cayetano en fut averti, il fit un signe à son camarade ; celui-ci ramassa des herbes sèches, y mit le feu, et couvrait d’herbes plus humides la flamme brillante et claire qui s’échappait : une épaisse fumée ne tarda pas à s’élever dans l’air en noirs tourbillons.
— Croyez-vous qu’ils auront vu notre signal ? dit l’Anglais à Cayetano, qui sifflait toujours.
— Soyez tranquille, lui dit Cayetano ; quand même ils nous verraient, ils ne nous aideraient guère à traverser ce bras de mer houleux, si je n’étais là. Il faut avoir navigué parmi ces écueils bouillonnans, comme je l’ai fait dès l’enfance, pour s’y hasarder avec une barque aussi richement lestée ; mais il est impossible qu’ils ne nous aient pas vus, et, dans tous les cas, il est bon d’agir tout de suite.
Cayetano déchargea la mule, déposa par terre un gros lingot d’argent qui pouvait peser environ soixante-dix livres, et une foule de petits sachets de peau qui contenaient de la poudre d’or d’un poids à peu près égal ; il répartit ce fardeau précieux dans les poches du gilet dont j’ai parlé.
— Courons-nous quelque danger ? demanda l’Anglais, qui semblait voir avec inquiétude ce luxe de précautions. Cayetano haussa les épaules en signe d’incertitude, et dit brièvement :
— Il vaut mieux être prêt à tout. Pépé endossera ce gilet quand nous serons en bas, et je me charge du reste. — En prononçant ces derniers mots avec un sourire ironique, Cayetano glissa dans sa poche une ficelle forte et longue à. l’extrémité de laquelle était attachée une plaque de liége de la largeur de la main. Alors le contrebandier et son compagnon