consumer. Des galettes de farine de froment cuisaient ou plutôt se carbonisaient sur les braises détachées des tisons, en compagnie de quelques morceaux de viande séchée qui sifflaient au contact du feu. A quelques pas de là, Cayetano, assis sur un escabeau de bambous, fourbissait un des harpons particuliers aux gens de sa profession, car j’ai dit qu’il était de son métier pêcheur de tortues.
— Ah ! c’est vous, seigneur cavalier, me dit-il sans interrompre son occupation ; soyez le bienvenu dans ma pauvre cabane. Vous me trouvez occupé de mon déjeuner. Me feriez-vous l’honneur de faire pénitence avec moi ?
Je crus devoir refuser cette offre polie, mais qui ne me paraissait que médiocrement attrayante, en lui disant que je m’étais précautionné à l’avance.
— Je n’avais à vous offrir, me dit-il, qu’un triste repas, mais de bon cœur ; avec votre permission, je le prendrai donc seul.
L’intérieur de la cabane était pauvre et nu. Parmi des filets semblables à ceux dont se servent les pêcheurs de perles, parmi des harpons et d’autres ustensiles appendus aux murs, un objet d’une forme problématique attira mon attention. Cet objet était une espèce de bricole, ou plutôt de gilet à bretelles, et dans la longueur duquel trois énormes poches étaient pratiquées à distances égales.
— Vous pardonnerez, lui dis-je après un court silence, à la curiosité d’un voyageur, si je vous demande à quoi peut servir cette espèce de brassière ?
— Ceci, dit Cayetano, je vais vous le dire. Jadis nous embarquions en plein jour, à toute heure, avec l’aide des douaniers eux-mêmes, des lingots d’argent, malgré les lois qui en prohibent l’exportation ; mais maintenant les employés sont plus exigeans, et il faut se passer d’eux. C’est à quoi me sert ce gilet. En plaçant un lingot dans chacune de ces poches, mon manteau sur les épaules, je puis monter, à la barbe des douaniers, dans mon canot, donner la main à chacun d’eux en signe d’amitié, et ne pas paraître gêné sous un poids qui fait ployer en deux un homme d’une force ordinaire. De cette façon, une dizaine de voyages me suffisent pour transporter à bord d’un navire une trentaine de mille piastres sans partager mes profits avec personne. C’est pour moi une augmentation de revenu, dont je suis redevable au seigneur sénateur don Urbano.
— Vous avez en lui un protecteur dévoué, lui dis-je ; mais comment vous a-t-il rendu ce service ?
— D’une façon bien simple et digne de son caractère. Il parla un jour dans le congrès avec tant de justesse, de précision et d’éloquence, de la contrebande qui se pratiquait sur nos côtes, qu’il produisit une vive sensation. Jamais homme ne connut un sujet plus à fond.