avez à le voir pour vos affaires, rappelez-vous mes avis, et surtout que je n’ai rien dit et que je ne sais rien !
Je ne crus pas devoir insister davantage, et, de retour à Hermosillo, nous nous séparâmes. Des préoccupations d’affaires me firent bientôt oublier Cayetano, malgré l’impression de curiosité qu’avait d’abord excitée en moi cet homme étrange, impression fortifiée encore par les réticences du sénateur. Quant à l’Anglais, il menait à Hermosillo une vie si mystérieuse, que je ne pus le joindre une seule fois en quinze jours. Il avait dans la ville une boutique qu’il desservait sans l’aide d’aucun commis, et de temps à autre cette boutique était fermée pendant plusieurs jours de suite sans que personne pût donner quelque renseignement sur le motif et la durée de l’absence du propriétaire. Ce fut pendant une de ces absences qu’en un jour de désœuvrement je résolus de pousser les courses à cheval que je faisais chaque matin jusqu’à la cabane de Cayetano. Le farouche pêcheur de caïmans m’était revenu en mémoire, mais complètement dépourvu de sa sombre auréole. Depuis quinze jours, les diversions de la vie pratique avaient suffi pour remettre le calme dans mon imagination. La cabane de Cayetano était pour moi un but de promenade et rien de plus ; il y avait à peu près cinq lieues à faire, et, avec les chevaux du pays, cinq lieues, c’étaient deux heures de chemin. Je me dirigeai donc de ce côté. Je ne tardai pas à arriver à l’embranchement des deux routes, à l’endroit où Cayetano avait pris congé de nous. A quelques minutes de là, j’aperçus la cabane du pêcheur de tortues. C’était une espèce de hutte à toit plat ; le mur était formé de troncs de palmiers espacés, soutenant dans les intervalles un torchis de terre glaise et de bourre de crin, incrusté çà et là de larges écailles d’huîtres perlières dont l’iris brillait aux rayons du soleil. Deux tamariniers couvraient cette hutte de leur ombre. Un lac étendait à quelque distance la nappe limpide de ses eaux. Au milieu de cette riante solitude, la cabane eût semblé inhabitée, si une légère fumée ne se fût élevée en spirales bleuâtres entre les branches des tamariniers. Nul bruit ne se faisait entendre aux. environs, si ce n’est le frémissement harmonieux des roseaux du lac, qu’une brise insensible ridait à peine, et le sourd murmure d’un cheval qui, dans un petit enclos formé par des pieux, broyait sa provende de maïs. Je reconnus le cheval de Cayetano.
La porte de la cabane était entrebâillée. J’approchai du seuil sans mettre pied à terre ; je signalai ma présence par la formule d’usage :
— Ave Maria purissima !
— Sin pecado concibida ! répondit une voix qui était celle de Cayetano. En même temps nos chevaux se saluèrent par des hennissemens joyeux. Je mis pied à terre, et j’entrai dans la cabane. Dans un angle de la pièce principale où je pénétrai, quelques tisons achevaient de se