aucun d’eux ne fit un geste, un mouvement de repentir. Le chef continua :
« Le village des Papagos de l’occident ne saurait contenir les huttes de deux ennemis ; il est trop petit. Tous les deux doivent le quitter ; nos frères du nord recevront l’un, nos frères du sud accueilleront l’autre. Ils marcheront jusqu’à ce que ces montagnes, jusqu’à ce que ces forêts soient entre leur inimitié. Ce que nos pères ont fait est bien fait : allez. »
Un silence profond suivit ces paroles, que les échos des bois répétèrent. Les deux ennemis courbèrent la tête devant cet arrêt sans appel de la justice indienne ; ils avaient prévu que le bannissement serait prononcé contre eux, suivant la coutume de la nation. Ni l’un ni l’autre n’éleva la voix pour se défendre ; mais des sanglots étouffés se firent entendre dans les rangs des femmes, car deux d’entre elles allaient abandonner aussi le village qui les avait vu naître. L’exécution suivit de près la sentence. Un Indien amena les chevaux des deux ennemis ; il leur remit leurs flèches, leur arc et leur macana (casse-tête). Ils reçurent en outre chacun, de la main du chef, une flèche bizarrement peinte qui devait leur servir de passeport et d’introduction dans la tribu dont ils allaient désormais faire partie ; puis le chef fit un signe de la main et ramena, en signe de deuil, sur sa tête les plis de sa couverture. Les deux Papagos montèrent à cheval sans que leur physionomie trahît les sentimens qui les agitaient. Ils s’éloignèrent lentement en se tournant le dos, tandis que leurs tristes et dociles compagnes commençaient péniblement à pied, sous l’ardeur du soleil, le chemin de l’exil, si long, si fatigant, quand il conduit un Indien loin de la cabane de ses pères, loin de l’endroit où reposent leurs ossemens. Le silence qui régnait en ce moment parmi les Indiens consternés permettait d’entendre jusqu’aux moindres rumeurs qui signalent dans les bois le réveil de la nature américaine. Tout contribuait à relever la majesté de cette scène étrange. Cette justice sans faste, héritage des ancêtres, qui rendait ses arrêts à la face du ciel, me montrait la vie indienne sous un aspect que j’aurais regretté de ne pas connaître, et que les mascarades de la nuit précédente ne m’avaient point fait soupçonner.
Par un sentiment instinctif de discrétion, nous nous éloignâmes simultanément de notre poste d’observation (des étrangers pouvaient être de trop dans ce drame de famille), et nous regagnâmes l’endroit où nos chevaux étaient attachés. Nous reprîmes le chemin d’Hermosillo. Arrivés à l’endroit où le sentier que nous avions suivi pour venir du village des Papagos se réunit à celui qui conduit à la mer et à l’île du Tiburon d’un côté, et au Pitic de l’autre, Cayetano s’arrêta. — Je pense, seigneurs cavaliers, nous dit-il, que vous n’avez plus besoin de mes services, et que vous trouverez bon que je vous laisse ici.