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froid le son du Cerro de la Campana (Colline de la Cloche)[1] ; ce bruit l’agace, et, quand il est agacé[2], il est… il est très vif. Voici tout ce que je sais, seigneur cavalier.

Le Chinois acheva ces mots comme un homme décidé à ne rien dire de plus, et je le congédiai. Quelques jours après, le hasard, au moment où j’y pensais le moins, me mit en présence de l’individu en question, et voici dans quelles circonstances.

La ville de Pitic ne possède, en fait de curiosité naturelle, que le Cerro de la Campana, dont m’avait parlé le Chinois. J’étais venu visiter le Cerro ; j’avais éveillé quelques échos endormis, mais je trouvai bientôt ce plaisir assez fastidieux, et je reportai mes regards sur la ville. Le jour était à son déclin, et les collines dont elle est entourée perdaient peu à peu leur teinte d’azur. C’était l’heure où la fraîcheur du soir succède à la chaleur dévorante du jour. Quand j’étais monté sur la hauteur, les rues étaient désertes, le lit desséché du Rio San-Miguel était silencieux ; au moment dont je parle, Hermosillo commençait à s’animer. On improvisait brusquement les préparatifs des fêtes de Noël. Quelques fusées décrivaient dans l’air des courbes lumineuses ; la lueur rougeâtre du bois résineux qui brûlait sur des trépieds de fer éclairait déjà quelques parties de la rivière ; les cris des vendeurs d’infusions d’eau de rose et de tamarin se faisaient entendre, mêlés aux bourdonnemens de la foule, au cliquetis des castagnettes et aux sons des mandolines ; la ville sortait de la torpeur léthargique dans laquelle elle était plongée depuis le matin.

Comme je descendais du Cerro, en traversant une rue voisine, un bruit argentin qui sortait d’une petite maison basse me fit penser que j’étais probablement près d’un établissement de jeu. Je distinguai en effet, à travers les barreaux de bois qui garnissaient les fenêtres, un tapis vert et des joueurs assis en silence autour d’une table ovale. Résolu à tuer le temps jusqu’au souper, j’entrai dans la maison. Tous les joueurs étaient captivés par un coup qui paraissait fort intéressant, car personne ne remarqua mon arrivée : je pus donc observer à mon aise. Deux bougies qui brûlaient chacune dans une verrine de cristal, et autour desquelles papillonnaient des milliers de phalènes, jetaient leur clarté vacillante sur une trentaine de personnes réunies dans la salle basse où j’étais entré. Toutes les physionomies offraient la même expression

  1. Le Cerro de la Campana est une colline assez haute, située à l’extrémité de la ville, et qui domine les maisons derrière lesquelles elle s’élève. Le sommet du Cerro est couronné d’énormes blocs de pierre qui rendent, au moindre choc, un son clair et métallique comme celui d’une cloche ordinaire, et dont les vibrations peuvent s’entendre de fort loin, selon que le vent les pousse.
  2. Lo altera y quando alterado ! m’avait dit le Chinois. Le mot agacé est celui qui m’a paru rendre le plus fidèlement dans notre langue le sens du mot alterado.