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personne ne peut les entendre, lui reproche avec une sévérité mêlée de douceur les écarts de sa conduite, lui explique l’utilité des mesures qui excitent trop souvent son mécontentement parce qu’il n’en comprend pas le but, et lui donne à entendre qu’il n’ignore pas les intrigues dont Montigny est l’intermédiaire. À ce nom, don Carlos se récrie, protestant qu’il ne connaît pas même l’homme dont on lui parle ; mais l’œil pénétrant du roi a distingué la trace du sang qu’a répandu la blessure de Montigny.


LE ROI. — Qu’est-ce que ce sang ?

DON CARLOS, à part. — Terrible embarras !

LE ROI. — Cette trace conduit dans l’intérieur de l’appartement. Il y a quelqu’un ; qu’il sorte.

DON CARLOS. — C’est un domestique.

LE ROI. — Il faut s’en assurer.

DON CARLOS. — Tout est perdu !

LE ROI. — Sortez de ce cabinet, qui que vous soyez.

MONTIGNY. — Sire…

LE ROI, à son fils. — Ne vous avais-je pas demandé s’il y avait quelqu’un qui pût nous entendre ? Carlos, cet homme que vous voyez est Montigny. Regardez-le bien, pour qu’une autre fois, si l’occasion s’en présente, vous ne veniez pas me dire : Je ne sais pas qui est Montigny, je ne le connais pas… C’est lui, c’est bien lui. Faites-y attention, car il est honteux que, lorsqu’un roi interroge et lorsque c’est un prince qui lui répond, la réponse soit erronée. Allez vous habiller, Carlos, car il est tard.

DON CARLOS, à part. — Quel malheur qu’il l’ait vu ! Je suis si irrité, que je ne puis parler. (Il sort.)

LE ROI, à Montigny. — Que faisiez-vous dans le cabinet du prince ?

MONTIGNY. — Un étranger est toujours empressé de voir les curiosités admirables…

LE ROI. — C’est bien. Quelle plus grande preuve de trahison que de me mentir ainsi face à face ! (A don Diégo de Cordova.) Don Diégo, M. de Montigny est un grand amateur de ces tableaux, de ces statues qu’idolâtre l’Italie. Montrez-lui, faites-lui admirer tous les objets curieux que renferme l’appartement du prince ; conduisez-le partout. (A voix basse.) Et faites en sorte que mon fils, à son retour, le trouve étranglé dans son cabinet. (A part.) Montigny dépositaire de mes secrets !

DON DIÉGO DE CORDOVA. — Allons, Montigny.

MONTIGNY. — Qu’est-ce que cela veut dire ?

LE ROI. — Divertissez-le, faites-lui bien passer le temps.

M0NTIGNY. — Sire, j’ai déjà tout vu.

LE ROI. — Eh bien ! voyez-le de nouveau. (Il sort.)

MONTIGNY. — Voudrait-on m’arrêter ?

DON DIEGO DE CORDOVA. — Divertissez-vous, Montigny ; vous allez bien vous amuser.