cruel fanatisme, adoucit quelque peu les teintes de cet effroyable tableau, et rafraîchit l’ame, fatiguée de tant d’horreurs. Dans la profonde pitié qu’inspire le sort de Montigny, on éprouve quelque consolation à penser qu’il put épancher les douleurs de son agonie dans un cœur tendre et compatissant.
Le meurtre était consommé. Il ne restait plus qu’à en dérober les traces. Nous avons vu par quel moyen on avait essayé de s’assurer du silence des témoins nécessaires. Suivant un usage de dévotion assez fréquemment observé à cette époque, le cadavre fut revêtu de l’habit de moine franciscain, dont la forme était plus propre que celle des vêtemens ordinaires à cacher les marques de la strangulation. On annonça ensuite publiquement la mort de Montigny, et on procéda à ses obsèques. Enfin le gouverneur de la forteresse, don Eugenio de Peralta, écrivit au roi, sous la date du 10 et du 17 octobre, deux lettres dont la substance, peut-être même les expressions, lui avaient été suggérées de Madrid, et qui sont en quelque sorte le journal des derniers momens du prisonnier, arrangé suivant la version officielle, c’est-à-dire dans la supposition mensongère qu’il était mort d’une maladie causée par l’ennui de sa longue captivité et par le chagrin d’avoir vu échouer son projet d’évasion.
Ces lettres furent envoyées au duc d’Albe en même temps que la relation plus véridique que j’ai si souvent citée. La dépêche confidentielle du roi, à laquelle étaient annexés ces divers documens, et qui porte la date du 3 novembre, contient le passage suivant : « La chose a si bien réussi, que, jusqu’à présent, tout le monde croit que Montigny est mort de maladie. Il faut le donner à entendre aussi dans le pays où vous vous trouvez, en faisant lire comme par laisser-aller et en confidence les deux lettres de don Eugenio de Peralta… Si Montigny est mort intérieurement dans des sentimens aussi chrétiens qu’il l’a manifesté à l’extérieur, suivant le rapport du moine qui l’a confessé, il est à croire que Dieu a eu pitié de son ame. » Le rédacteur de la dépêche royale avait cru devoir ajouter une restriction à l’expression de cet espoir charitable. « D’un autre côté, avait-il dit, nous voyons que, de nos jours, le démon a coutume d’inspirer une telle assurance aux hérétiques, que, si cet homme l’était en effet, le courage n’aura pas pu lui manquer. » Cette réflexion d’un fanatique de bas étage parut de mauvais goût à Philippe II. Elle est rayée de sa main dans la minute qui, suivant l’usage, fut mise sous ses yeux avant l’expédition, et, pour expliquer ce retranchement, il écrivit en marge cette note laconique : « Effacez ceci du chiffre ; en ce qui touche les morts, il faut toujours juger favorablement. » La dépêche se termine par cette recommandation, qui résume en peu de mots la pensée de tout le procès : « Il vous reste maintenant à faire juger la cause de Montigny, comme s’il était mort de sa mort