LES FEMMES DU CAIRE. 23
ques, et leur voix sort douce et vibrante d’une bouche éclatante de fraîcheur.
Eh bien ! je ne m’enflammerai pas pour ces jolis monstres, — mais sans doute les belles dames du Caire doivent aimer à s’entourer de chambrières pareilles. Il peut y avoir ainsi des oppositions charmantes de couleur et de forme ; ces Nubiennes ne sont point laides dans le sens absolu du mot, mais forment un contraste parfait à la beauté telle que nous la comprenons. Uue femme blanche doit ressortir admirablement au milieu de ces filles de la nuit, que leurs formes élancées semblent destiner à tresser les cheveux, tendre les étoffes, porter les flacons et les vases, — comme dans les fresques antiques.
Si j’étais en état de mener largement la vie orientale, je ne me priverais pas de ces pittoresques créatures ; mais, ne voulant acquérir qu’une seule esclave, j’ai demandé à en voir d’autres chez lesquelles l’angle facial fût plus ouvert et la teinte noire moins prononcée. — Cela dépend du prix que vous voulez mettre, me dit Abdallah ; celles que vous voyez là ne coûtent guère que deux bourses (250 francs) ; on les garantit pour huit jours : vous pouvez les rendre au bout de ce temps, si elles ont quelque défaut ou quelque infirmité.
— Mais, observai-je, je mettrais volontiers quelque chose de plus ; une femme un peu jolie ne coûte pas plus à nourrir qu’une autre.
Abdallah ne paraissait pas partager mon opinion.
Nous passâmes aux autres chambres ; c’étaient encore des filles du Sennaar. Il y en avait de plus jeunes et plus belles, mais le type facial dominait avec une singulière uniformité.
Les marchands offraient de les faire déshabiller, ils leur ouvraient les lèvres pour faire voir les dents, ils les faisaient marcher et faisaient valoir surtout l’élasticité de leur poitrine. Ces pauvres filles se laissaient faire avec assez d’insouciance ; la plupart éclataient de rire presque continuellement, ce qui rendait la scène moins pénible. On comprenait d’ailleurs que toute condition était pour elles préférable au séjour de l’okel, et peut-être même à leur existence précédente dans leur pays.
Ne trouvant là que des négresses pures, je demandai au drogman si l’on n’y voyait pas d’Abyssiniennes. — Oh ! me dit-il, on ne les fait pas voir publiquement ; il faut monter dans la maison et que le marchand soit bien convaincu que vous ne venez pas ici par simple curiosité, comme la plupart des voyageurs. Du reste, elles sont beaucoup plus chères, et vous pourriez peut-être trouver quelque femme qui vous conviendrait parmi les esclaves de Dongola. Il y a d’autres okels que nous pouvons voir encore. Outre celui des Gellab, où nous sommes, il y a encore l’okel Kouchouk et le khan Ghafar.
Un marchand s’approcha de nous et me fit dire qu’il venait d’arriver des Éthiopiennes qu’on avait installées hors de la ville, afin de ne pas