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« Quant au religieux qui devra intervenir dans cette affaire pour ce qui regarde l’ame du condamné, il convient que ce soit un homme docte et prudent, et qu’on l’avertisse des soupçons qu’on a conçus, par rapport à la foi, sur le compte dudit Florent de Montmorency, pour qu’en conséquence de cet avis, il s’attache à l’examiner, à l’éclairer et à le faire revenir des erreurs et des mauvaises opinions dans lesquelles il aurait été ou il serait encore, le tout avec la prudence et les bons ménagemens… qu’il saura mettre en usage ; ledit religieux le confessera et verra s’il doit lui donner le saint-sacrement.

« Il paraît à propos de prendre ce religieux dans la ville de Valladolid, et on pourrait faire choix de frère Hernando del Castillo, du collége de Saint-Paul, ou d’un autre de cette qualité du même ordre ou de l’ordre de Saint-François, au gré du président de la chancellerie,… qui le fera appeler et lui recommandera grandement cette affaire, tant sous le rapport des soins à donner à l’ame du condamné que sous celui du secret…

« Dans le cas où ledit Florent de Montmorency voudrait faire un testament, on ne devra pas le permettre, tous ses biens étant confisqués,… en sorte qu’il ne peut tester et n’a pas de quoi tester. Cependant, s’il voulait rappeler quelques dettes ou autres obligations, on pourra l’y autoriser, pourvu que, dans cet acte, il ne soit fait aucune mention de l’exécution qui sera au moment d’avoir lieu, et qu’il s’y exprime comme un malade qui craint de mourir de sa maladie ; on ne lui permettra non plus d’écrire des lettres ou de faire aucune écriture quelconque qu’à la même condition…

« Une fois l’exécution faite et la mort rendue publique, avec toutes les précautions recommandées ci-dessus pour qu’on ne sache pas qu’elle a eu lieu par justice, on s’occupera de l’enterrement, qui doit se faire publiquement, avec une pompe modérée et dans l’ordre et la forme accoutumés pour les personnes de la qualité du condamné,… avec grand’messe, vigiles et d’autres messes basses en nombre raisonnable… Il ne sera pas hors de propos d’habiller de deuil ses domestiques, d’autant plus qu’ils sont en petit nombre. »


Ne croirait-on pas, en lisant ces instructions données à un magistrat pour l’exécution d’une sentence judiciaire, lire le plan d’une conspiration ou plutôt d’un complot d’assassinat ? Quel singulier mélange que celui de la cruauté froide qui en a dicté les dispositions principales avec cette préoccupation si continue, si vive, si ardente, j’ai presque dit si charitable, du salut de l’ame du condamné ! Est-ce de l’hypocrisie ? Je ne le pense pas. C’est simplement un nouvel et frappant exemple des inconséquences monstrueuses, détestables, auxquelles l’homme se laisse entraîner, lorsqu’aveuglé par le fanatisme et entraîné par ses passions, il étouffe dans son ame la lumière divine de la raison et ces instincts d’humanité qui sont la première base, le fondement le moins équivoque de la morale.

Les ordres de Philippe II furent suivis ponctuellement. L’alcade don Alonso de Arellano, en se rendant à Valladolid, rencontra sur la route, au lieu indiqué par les instructions royales, le gouverneur de la forteresse de Simancas. Dans cette conférence mystérieuse, les deux agens