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que la dernière allégation, la seule qui ait une véritable gravité, y est avancée sans aucune preuve, sans qu’on cite même à l’appui aucun témoignage. Tout le reste est d’une telle nature, qu’on ne peut comprendre par quel procédé d’esprit le duc d’Albe et ses acolytes sont parvenus à y découvrir les élémens d’une accusation de lèse-majesté ; il ne s’agit en effet que de conversations, d’opinions exprimées, de conseils donnés en matière de gouvernement. La suite de ce document répond parfaitement à ce qu’on en a déjà vu. A en croire le fiscal, Montigny et les autres seigneurs ont conseillé la démarche de la noblesse venant en corps, et dans une attitude menaçante, présenter une requête à la gouvernante contre l’exécution des édits ; ils ont même corrigé le texte de cette requête, et Montigny particulièrement a prétendu ne rien trouver de blâmable dans la démarche dont il s’agit. Il a tenu des propos pernicieux contre le roi, disant que sa majesté faisait grand tort aux seigneurs des Pays-Bas en y envoyant des Espagnols, ce qu’ils ne pouvaient souffrir, qu’elle finirait par les obliger à se révolter, qu’elle ne devait pas penser à être roi en ce pays comme en Espagne, et qu’on ne le permettrait pas. Montigny est encore accusé d’avoir souvent manifesté une très grande irritation de ce que le roi n’écoutait pas ses conseils, d’avoir déprécié les forces du roi et exalté la puissance de ses ennemis, de s’être montré, au commencement des troubles, très favorable aux prétentions des sec(aires, notamment dans son gouvernement de Tournay, et, à l’appui de cette inculpation, le fiscal, infidèle à sa méthode ordinaire, condescend, cette fois, à articuler des faits, à citer un témoin.


« L’administrateur du diocèse (dit-il) lui ayant, à plusieurs reprises, remontré que les sectaires chantaient publiquement, de jour et de nuit, les psaumes avec beaucoup de chants réprouvés, et lui ayant demandé pourquoi il n’en faisait pas justice,… il a répondu que c’étaient les gens d’église eux-mêmes qui étaient la première cause de ces désordres par les cérémonies dont ils faisaient usage dans leurs églises, et que, si on laissait au peuple la liberté de communier sous les deux espèces, comme avait fait le duc de Clèves dans ses états, on pourrait remédier à tout,… et ledit prélat lui ayant fait remarquer que cela était peu vraisemblable, puisque la majeure partie des sectaires de son gouvernement étaient calvinistes, il a répliqué que les uns et les autres devaient vivre, comme s’il eût voulu donner à entendre qu’il fallait accorder à ces deux sectes la liberté légale ; et ledit Montigny avait pris l’habitude de soulever chaque jour, en causant avec ledit prélat, des questions scandaleuses sur l’ancienne religion, qu’il affectait de traiter avec tout le mépris possible, surtout par rapport au sacrifice et aux cérémonies de l’église, en présence de laïques, gentilshommes, soldats et autres, à tel point que le prélat, ne pouvant plus le souffrir, se retirait quelquefois de sa table et de sa compagnie ; il se donnait beaucoup de peine pour placer les hérétiques dans les emplois de justice, et des chanoines l’ayant averti… que, sur beaucoup de points, on commençait à faire le prêche et les exercices des nouvelles sectes, il leur a dit : Est-ce que vous voulez empêcher les sermons ?