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le désir de retourner aux Pays-Bas, où l’état des choses semblait en effet exiger la présence de deux hommes aussi considérables, tous deux gouverneurs de provinces. Cela n’entrait pas dans les vues de Philippe II. Le cardinal Granvelle lui ayant écrit confidentiellement pour l’engager à retenir Berghes et Montigny en Espagne et à surveiller leur correspondance, Philippe répondit au cardinal qu’en dépit de leurs instances réitérées les deux envoyés resteraient à Madrid tout le temps qui serait nécessaire, mais que malheureusement il n’était pas possible de les empêcher d’écrire.

Ces deux seigneurs se trouvaient donc dès-lors dans une sorte de captivité honorable qui commençait à les inquiéter. Leurs parens, leurs amis, s’adressèrent à la duchesse de Parme pour la prier de demander au roi leur prompt retour. Elle consentit à faire la démarche qu’on lui demandait, mais elle ne fut pas écoutée. Le duc d’Albe, qui avait déjà quitté Madrid et qui s’acheminait lentement avec son armée, à travers l’Italie et l’Allemagne, vers la malheureuse contrée vouée à sa tyrannie, le duc d’Albe, ayant appris la démarche de la gouvernante, écrivit au roi dans les termes les plus pressans pour le supplier de n’y avoir aucun égard. Lorsque cette lettre parvint à Philippe II, le marquis de Berghes venait de mourir. On soupçonna qu’il avait été empoisonné par ordre du roi, mais il y a lieu de croire qu’en cette circonstance Philippe II a été calomnié.

Montigny, resté seul, essayait de faire bonne contenance. Le 20 juin 1567, lorsque déjà plus d’une année s’était écoulée depuis son arrivée à Madrid, il remit au roi un mémoire dans lequel il lui exposait l’ensemble de ses vues sur les moyens de pacifier les Pays-Bas. J’ignore si Philippe II se donna encore la peine de chercher à l’abuser par des démonstrations flatteuses ; cela n’a rien d’improbable. Le duc d’Albe cependant avait enfin atteint le terme de son voyage, il était à Bruxelles, et le 9 septembre il avait inauguré, en faisant arrêter les comtes d’Egmont et de Horn, le système de terreur par lequel il comptait affermir l’autorité ébranlée. Peu de jours après, Montigny, qui ignorait encore le sort de son frère, fut arrêté lui-même et enfermé dans le château de Ségovie, résidence habituelle des prisonniers d’état d’un certain rang.

Bien qu’on eût déjà résolu de lui faire son procès, rien n’était encore fixé quant à la marche qu’on devait suivre. Plusieurs passages de la correspondance du duc d’Albe avec le roi prouvent même qu’alors on se proposait de le faire juger en Espagne. Le duc en effet, dans une lettre du 18 septembre, insiste fortement pour que, dans la composition du tribunal chargé de prononcer sur son sort, on n’ait pas égard à la clause expresse des statuts de l’ordre de la Toison qui portait que les chevaliers ne pourraient être jugés que par leurs confrères. Voulant lui-même ne pas tenir compte de cette disposition dans le jugement