à l’Espagne la souveraineté de la moitié des Pays-Bas. Je ne me propose pas, on peut le croire, de recommencer, à cette occasion l’histoire si souvent écrite d’un des plus grands événemens des temps modernes ; cependant il est indispensable d’en rappeler ici les traits principaux. On sait que Philippe II avait conçu de bonne heure une profonde aversion pour les institutions et les mœurs politiques de ses sujets des Pays-Bas. Une noblesse fière, puissante, habituée à diriger les affaires du gouvernement et à traiter avec ses souverains sur un pied de libre familiarité, un peuple que l’aisance acquise par le commerce et l’industrie avait depuis long-temps tiré de l’abjection où le tiers-état était encore alors dans presque toute l’Europe, et qui, réuni dans de grandes cités, s’était fait une réputation de turbulence vraiment proverbiale, c’étaient là, au milieu de tant de nations soumises au joug absolu du monarque espagnol, des anomalies étranges qu’il ne pouvait comprendre, et que surtout il ne pouvait supporter. Les progrès que le protestantisme, favorisé par un tel état de choses, faisait parmi ces populations, dont il flattait l’esprit d’indépendance, eussent suffi d’ailleurs pour décider ce prince à détruire un régime qui, dans son opinion, ne lui fournissait pas les moyens de combattre l’hérésie avec assez d’efficacité. Il dut pourtant dissimuler ses projets tant que dura la guerre dans laquelle l’Espagne était engagée contre la France au moment où il monta sur le trône, guerre dont la frontière des Pays-Bas était le principal théâtre, et qui le retenait lui-même sur cette frontière ; mais la paix de Cateau-Cambrésis eut à peine été signée, qu’il se hâta de rentrer en Espagne pour n’en plus sortir pendant près de quarante années que devait encore durer son règne, et il commença aussitôt, par l’intermédiaire de sa sœur naturelle la duchesse de Parme, gouvernante des Pays-Bas, ou plutôt du cardinal Granvelle, qu’il lui avait donné pour principal conseiller, l’application du système conçu dans l’intention d’étendre à cette partie de son vaste empire le despotisme uniforme qui pesait déjà sur tout le reste.
Ce système consistait en deux idées principales : anéantir peu à peu les privilèges dont les états provinciaux avaient joui jusqu’alors, surtout en matière d’impôts, et empêcher absolument qu’ils ne se réunissent en états-généraux, comme cela avait eu lieu quelquefois, ce qui leur donnait naturellement plus de force pour résister au pouvoir royal ; établir l’inquisition religieuse sous une forme analogue à celle adoptée pour l’Espagne, et, par son action impitoyable, anéantir complètement l’hérésie.
Dès le premier moment, les grands seigneurs qui siégeaient au conseil d’état, et qui étaient investis du gouvernement des provinces ; manifestèrent une très vive opposition à l’accomplissement de pareils projets, quelque soin qu’on mît à leur en dissimuler la portée. Il se