fausser au fond de son cœur les notions du bien et du mal, à prendre l’orgueil pour le sentiment du devoir et la cruauté pour la justice, cet aveuglement final, juste punition de premiers torts à peu près volontaires, atténuerait à peine la culpabilité des fautes et des crimes dont il deviendrait le principe.
Ces considérations me mèneraient bien loin ; je reviens à l’examen du caractère de Philippe II. Ce qui en faisait le trait particulièrement distinctif, c’était l’amour, le culte, l’habitude enracinée du pouvoir absolu, et par conséquent la haine instinctive de la liberté, sous quelque forme qu’elle se produisît. Évidemment il en était venu à penser que les droits de la royauté n’avaient pas de bornes, et que tout lui était licite pour briser les résistances qu’il pouvait rencontrer. Le livre récemment publié par un éminent historien sur l’étrange aventure d’Antonio Perez a popularisé une des manifestations les plus curieuses de cette tyrannie. Quel que soit cependant l’intérêt romanesque d’une telle aventure, de quelque lumière qu’elle éclaire le régime sous lequel elle a été possible, ce n’est peut-être pas un des faits qui caractérisent le plus complètement la politique de Philippe II. Antonio Perez, par l’indigne et criminel abus qu’il avait fait de la confiance de Philippe, par le piège ridicule autant qu’odieux dans lequel il l’avait attiré, avait offensé en lui l’homme plus encore que le roi ; le ressentiment du monarque était légitime, et d’ailleurs, en se vengeant, il punissait un infâme assassinat, en sorte que, si Perez eût été sur-le-champ envoyé à l’échafaud après la découverte de cette perfidie, ce n’eût été que justice. Il n’a fallu rien moins, pour appeler sur lui la pitié, que la prolongation inouie de ses souffrances et la nature des moyens employés à sa perte. Parmi les nombreuses victimes de Philippe II, il en est plus d’une, au contraire, dont l’infortune a droit à notre sympathie parce qu’elle n’avait pas été méritée, parce qu’elle fut uniquement la conséquence des combinaisons d’une politique égoïste et perverse, entraînée quelquefois, en raison du but qu’elle se proposait, à punir comme des crimes les actes les plus innocens ou même les plus dignes d’estime.
Je ne sais si, parmi tant de condamnations iniques et cruelles qui déshonorèrent cette époque déplorable, la condamnation du baron de Montigny, par les circonstances surtout qui en accompagnèrent l’exécution, n’est pas celle qui inspire le plus d’indignation et de pitié. Les détails de cette étrange affaire sont restés long-temps enveloppés d’un mystère que vient de dissiper, il y a quelques mois seulement, la publication de documens authentiques ensevelis pendant près de trois siècles dans la poussière des archives de Simancas. Il n’est pas sans intérêt de faire voir, d’après ces curieux documens, quelle était la marche d’un procès politique en Espagne sous Philippe II.
Le procès dont il s’agit n’est qu’un épisode de la révolution qui enleva