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mis à le regretter. Cette réaction n’a rien, je pense, de bien réel ni de bien profond. L’Angleterre au XVIIe siècle, la France de nos jours, ont passé par de semblables épreuves, et les gouvernemens qui, trompés par ces symptômes équivoques, ont cru que les peuples, un instant fatigués, étaient pour cela redevenus capables de supporter l’esclavage, ces gouvernemens s’en sont mal trouvés. Je suis persuadé qu’il en serait de même en Espagne. Ces mêmes hommes qui regrettent capricieusement le régime de Ferdinand VII seraient étrangement surpris, s’ils se trouvaient tout à coup replacés sous ce régime tel qu’il fut à ses moins mauvais momens, ou même sous le régime bien plus doux de Charles IV et de Charles III. Ils reconnaîtraient alors qu’une nation qui a passé par la liberté, fût-ce à travers l’anarchie, n’est plus apte à la monarchie absolue, et que la monarchie absolue elle-même, rétablie après une interruption, par conséquent défiante, inquiète, craignant sans cesse d’être de nouveau mise en question, devient nécessairement oppressive.

Quoi qu’il en soit, je le répète, un revirement singulier s’est opéré, en Espagne, dans une portion assez considérable de l’ancien parti libéral, et ce qui le fait paraître plus sérieux qu’il n’est en effet, c’est que, comme toujours, l’esprit de mode s’en est mêlé. Quelques écrivains d’un certain mérite, en présence de la révolution triomphante et par momens violente, ont cru faire acte de générosité et de courage en vantant les institutions, les idées, les principes qu’elle venait d’abattre, et en attaquant au contraire les doctrines qu’on avait invoquées pour renverser l’ancien ordre des choses. Le succès qu’ils ont obtenu en prenant à l’improviste cette attitude qui semblait hardie a attiré sur leurs pas la tourbe des imitateurs, de ces hommes qui, faute d’autres ressources pour se donner au moins l’apparence de l’originalité, se précipitent sur les paradoxes avec un tel empressement, qu’ils en font bientôt des lieux-communs. On les a vus proscrire sous le nom de voltairianisme et essayer de livrer au ridicule et au mépris les doctrines les plus conformes à la dignité humaine, à la morale, à la raison ; on les a vus relever les idoles les plus décriées des temps d’ignorance et de barbarie, et travailler de leurs mains débiles à refaire dans le sens du moyen-âge, qu’ils ne comprenaient pas, les institutions, la littérature, l’histoire. L’aveugle superstition et le despotisme ont eu de nombreux apologistes ; je ne voudrais pas répondre que l’inquisition n’en ait pas trouvé elle-même : Philippe II, celui de tous les rois qui a le plus développé son action terrible, a bien eu cette étrange fortune.

Ce fut pourtant un prince exécrable que le fils de Charles-Quint, et je doute qu’il ait jamais existé un type plus achevé de tyrannie. D’autres ont été plus violens, plus fougueux dans leurs cruautés ; mais cette violence même qui provenait, soit de l’ardeur des passions, soit de