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échappée du bythos des gnostiques. Adieu cette réalité qu’embellissait avec amour le ciseau du statuaire ! Voici venir à nous un monde de pressentimens s’ouvrant sur l’infini et l’éternité, un monde dont les apparitions insaisissables nous font passer des ébahissemens de la curiosité aux plus solennelles émotions du mysticisme religieux. Telle est la sphère où s’agitent tous les romantiques, de Zacharias Werner, d’Achim Arnim et d’Hoffmann à Novalis, à Weber : poètes et musiciens, j’ai plaisir à les confondre ensemble, la différence, s’il y en a, n’existe que dans l’instrument. Traduisez Arnim en musique, et vous aurez l’auteur du Freyschütz, d’Euryanthe et d’Oberon. Pour romantique et poète, Weber l’était avant d’être musicien. Voyez ce front mélancolique et pensif, cet œil ardent habitué à plonger au sein des ténèbres où tant de fois il a surpris les secrets de la nature et du cœur humain. Plus je contemple cette physionomie en même temps puissante et maladive, ce nez d’aigle dont les narines qui se dilatent semblent flairer l’inconnu, ces pommettes fiévreuses, ces lèvres minces que pince un sourire inquiet, plus l’expression extérieure me paraît répondre à l’idée que je me fais de l’être intime. Je ne me représenterais pas autrement Zacharias Werner. Ajoutons que Charles-Marie de Weber est peut-être le seul grand musicien que le nord de l’Allemagne ait produit, ce même nord qui donna naissance au romantisme. Jusque-là, si l’on y songe, la musique n’affectait-elle pas de choisir le midi sensuel pour théâtre de son existence ? Haydn et Mozart sont Autrichiens, Beethoven vit le jour sur les bords du Rhin. En rapprochant Weber du groupe littéraire de Berlin, la nature complétait la famille romantique, et nous ne pensons pas qu’on puisse jamais l’en détacher.


Hans Werner.