fiel et d’amertume, aspirait avec joie les rosées d’une sphère supérieure. Oberon, Rezia, génies de l’air, charmans fantômes, vous l’entouriez alors, et ce fut dans votre compagnie qu’il expira. Quand Charles-Marie de Weber eut rendu l’ame, chacun de vous regagna sa patrie, hôtes enchantés de ses momens d’inspiration, mais non sans qu’un gage nous soit resté de votre commerce avec lui, et ce gage, c’est cette partition d’Oberon, rose aux cent feuilles épanouie près d’un grabat, et dont la lumineuse exhalaison chasse au loin tant de miasmes impurs.
Ainsi, nous venons de le voir, le Freyschütz, Euryanthe, Oberon, sont les rayonnemens divers de l’idée romantique, les divers échelons d’une gamme que Weber a parcourue de sa base à son faîte, en passant de la tradition populaire à l’épopée chevaleresque, et de l’épopée chevaleresque à la fantaisie, au caprice ; mais, dira-t-on, une pareille façon de procéder semble plutôt indiquer un poète. Aussi Weber l’est-il dans toute l’acception du mot, poète aux mêmes conditions que les romantiques littéraires de l’école berlinoise, Hoffmann, Arnim, Tieck et Novalis, sont des musiciens. Je m’explique.
Quels que soient les sentimens d’admiration et de respect qui s’attachent aux noms glorieux des deux dioscures de la poésie allemande, on aurait tort de croire cependant que Goethe et Schiller représentent toutes les tendances de la vie intellectuelle de leur pays. Pour Goethe, la beauté, c’est l’harmonie, l’harmonie entre la nature et l’esprit, entre l’ame et le corps ; de là ses instincts profondément classiques. Schiller, moins soucieux d’équilibre et de pondération, laisse à l’esprit des droits illimités. En dehors de cette double tendance, il existe une sphère dans la région de l’ame où la nature ne connaît plus de maître ni d’égal, où le démon élémentaire vit seul déchaîné, et c’est de cette sphère mystérieuse, nationale surtout, que sortirent à la fois et vivant en quelque sorte d’une vie infuse la poésie romantique et la musique allemande, Arnim et Beethoven, Hoffmann et Weber. Goethe, à qui sa haute clairvoyance révélait la loi des élémens et des phénomènes les plus étrangers à son cercle d’activité, Goethe les appelait des natures démoniaques, et jamais parole ne fut mieux appliquée. Si de tout temps la philosophie a cherché la vérité dans l’accord du contingent et de l’absolu, si cette harmonie suprême de l’ame et du corps, du sujet et de l’objet, a pu devenir chez Goethe le principe élémentaire, unique, du beau en fait d’art, la profession de foi du romantisme n’admet plus les phénomènes de ce monde qu’à titre de symboles d’une mystérieuse éternité. De là cette libre carrière donnée au côté fantastique, nocturne, de la vie humaine, cet assemblage de démons et de larves, d’êtres surnaturels bons ou méchans, terribles ou moqueurs, figurant en passes merveilleuses les caprices de la destinée ; comédie étrange et désordonnée, parfois sublime, émanation dernière du chaos intellectuel remué en ses profondeurs, bouffée vertigineuse