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terre qui souffle l’incendie par ses mille crevasses volcaniques. Le hibou funèbre bat des ailes autour du réchaud dont le plomb grésille. Silence, monsieur, ou craignez que maître Caspar, dont vous troublez l’œuvre magique, ne vous asperge de son goupillon.

— Y songeais-tu, Théodore ? s’écria Weber, humilier un critique de cette façon, un homme qui peut-être écrit dans trois journaux ! tu ne le connaissais donc pas ?

— Diable ! je le connaissais trop bien, au contraire.

— Demain nous aurons de ses nouvelles.

— Il n’importe ; en ce moment, la chasse a passé, et, comme tu l’imagines, j’ai bien vite lâché mon philistin pour me mettre à suivre la meute fantastique. Au galop donc, à travers broussailles et fossés, à travers lacs et torrens ! les fouets claquaient en flamboyant d’une lueur sanglante, les chiens ailés à tête de dragon aboyaient sur les cimes des arbres, et le gibier suait le feu par tous ses poils. Cependant la trompe infernale sonnait toujours, éveillant dans leurs trous de muraille les chats-huans de la fauconnerie de monseigneur Samiel. Oh ! la sublime fanfare et le beau vacarme ! Où se sont-ils arrêtés à courir ainsi par le vent et la tempête ? Et dire qu’après une si effroyable nuit l’aurore a pu se lever si calme et si rayonnante ! Au troisième acte, dès les premières mesures de la prière d’Agathe, j’ai cru voir une vapeur sereine monter du sein des profondeurs de la terre renouvelée. Ce chant de colombe qui sort des lèvres de la jeune fille me semblait l’hymne de la nature entr’ouvrant, au sortir d’un horrible cauchemar, son œil bleu inondé de soleil et de rosée ; car avec toi la nature est partout, et ta musique, quelle que soit du reste son expression pathétique, respire toujours un sauvage bouquet, une tellurique senteur dont on s’enivre. C’est d’elle surtout qu’on pourrait dire : Semper viridis, toujours verte, toujours forestière, toujours imprégnée de fenouil et de jeune chêne. Aussi, quand je l’entends, mes narines se dilatent, et j’aspire à pleins poumons cet air mélodieux et sain qui m’apporte comme une bouffée de la forêt prochaine. — J’ai lu dans un vieux chroniqueur qu’un margrave de Thuringe, du nom d’Asprian, aima tellement la chasse, qu’il finit par en devenir fou. Laissant donc le royaume à gouverner à son fils, voilà mon Freyschütz qui se met à courir les bois jour et nuit, à grimper dans les arbres, à vivre en un mot de la vie inquiète et nomade d’un écureuil. Il paraît qu’à cette époque les coqs de bruyère étaient fort rares en Thuringe. Un soir pourtant, il advint qu’Asprian en découvrit un, le premier qu’il eût rencontré jamais. À cette vue, le vieux comte bondit sur sa branche qui faillit se rompre de la secousse. L’oiseau cependant ne s’effaroucha point, et, chose étrange, au lieu de s’envoler ainsi que tant d’autres eussent fait, il s’approchait d’Asprian comme attiré par une magnétique influence. Les deux compagnons