— Un dernier toast ! s’écria-t-il en remplissant une vingtième fois son verre ; après avoir porté la santé de tous les habitans du Wolfsschlucht, je bois au créateur de l’opéra romantique. Grace à lui, messieurs, nous possédons, à dater de ce soir, l’opéra national et populaire. Déjà la musique avait dans Mozart son Schiller, dans Haydn son Klopstock, dans Beethoven son Jean-Paul ; courage, Weber, tu seras son Hoffmann, son Arnim, son Louis Tieck, son Knabenwunderhorn. À la bonne heure, voilà ce que j’appelle un vrai mélodrame, où rien ne manque, où la musique, au lieu d’être un hors-d’œuvre, un détail oiseux, un vain placage, la musique prend part à tout, anime tout, colore tout. Qu’ai-je besoin qu’on m’explique le sujet du poème ? qu’on m’en dise seulement le titre ; il me suffit d’entendre les dix premières mesures de l’ouverture pour que l’action me soit à l’instant révélée. Écoutez ces sons voilés des cors, cet exorde mystérieux si profondément empreint de cette vie mâle et forestière dont le tableau va se dérouler devant vous. Peu à peu cependant le ciel se couvre, un pizzicato des contrebasses par trois fois répété annonce l’approche d’une puissance occulte. Samiel paraît, l’esprit des solitudes, le fabricateur de sombres incantations. À sa venue, la foudre gronde, l’orchestre déchaîne toutes ses tempêtes ; un maléfice va s’accomplir, lorsque soudain une voix mélodieuse s’ouvre un sillon de lumière à travers le chaos. Voix d’amour et de rédemption, on sent tout d’abord qu’elle triomphera. Insensiblement les élémens infernaux se retirent, et la voix, secondée par toutes les forces sonores de l’orchestre, monte glorieusement, étouffant le dernier grognement des trombones qui mugissent dans leur coin comme des démons enchaînés. Je l’ai dit souvent, et ta composition m’en est une preuve sans réplique, pourvu qu’un maître sache s’imprégner fortement de l’esprit et du sentiment de son poème, pour rendre ensuite cet esprit et ce sentiment, il se passerait au besoin de paroles. La plupart du temps même, emporté par son propre délire, il lui arrive de donner à sa musique une flamme, une poésie, une fidélité d’expression dont on ne trouverait pas le premier mot dans le texte. J’estime le poème d’Apel, et demeure convaincu qu’à sa place je n’eusse rien imaginé de mieux ; mais se doutait-il seulement des personnages qu’il te livrait ? Et ce Caspar avec ses instincts pervers, ombrageux et taciturne, athée et superstitieux, railleur, colérique, méchant, ce Caspar existe-t-il en dehors de ta musique ? Créez donc de pareils types avec des cavatines ! Ce que j’aime dans ton inspiration, c’est qu’elle vous pénètre par tous les pores sans qu’on sache comment. Cela commence et finit, s’interrompt et se renoue, que c’est une surprise continuelle. On sent que l’on marche sur un sol d’où la musique va sourdre à chaque pas que vous ferez, musique pleine de bruits souterrains