des masses lui eût-il manqué, à lui dont le romantisme, dégagé de la partie philosophique qui rend Beethoven inaccessible à tant de gens, s’attache surtout à célébrer la vie des forêts et n’a que bruits de chasse au fond de l’ame ?
La chasse, en effet, ses émotions de joie et de tristesse, ses découragemens, ses manœuvres, jusqu’à ses incantations diaboliques, tel est le motif que Weber se plaît à varier sans relâche, et, je le demande, vit-on jamais thème plus populaire en Allemagne, dans ce beau pays du Rhin et de Souabe où de toute antiquité les empereurs sont oiseleurs et les grands-ducs archers, où mieux, s’il faut en croire les chroniques, aux bons temps des landgraves de Thuringe, une princesse du sang royal se gagnait à la cible ni plus ni moins qu’une couronne d’or ? Étrange chose, ce Weber qu’on prendrait volontiers pour le génie incarné de la chasse, tant il a deviné, senti, flairé ce qu’il y a de poésie cachée sous cette vie au sein des bois, tant il a su rendre à traits puissans l’âpre et sauvage physionomie du paysage montagneux que la meute efflanquée parcourt au son des trompes sur la trace du sanglier meurtri ; cet homme, dont la musique respire à pleins poumons les plus mâles senteurs forestières, était un être souffreteux, maladif, ayant besoin pour vivre des ressources journalières de son travail, et presque aussi maltraité du côté de la fortune que du côté de la santé physique. Noble Weber, a-t-il réellement jamais connu le galop d’un cheval ? et, si quelqu’un de ces grands-ducs d’Allemagne qu’il servit en qualité de maître de chapelle l’eût invité d’aventure à suivre la chasse, eût-il pu serrer autour de ses reins le ceinturon de cuir et prendre sa part du terrible exercice ? Hélas ! pauvre artiste sublime, il eût suffi d’un cahot pour briser sa fragile existence, et dès la première haie, dès le premier fossé, il eût donné à rire, lui le génie de la chasse, lui le père de Samiel, au plus obscur des palefreniers de son altesse. Non, toutes ces belles choses qu’il a si magnifiquement décrites, c’est du fond de sa chambrette solitaire qu’il les a vues passer au crépuscule. Il en avait l’instinct suprême, c’était assez pour lui d’en remplir son imagination et son cœur. Tant d’autres vivent physiquement au milieu d’elles qui mourront un jour sans en avoir même soupçonné la poésie. Il faut en prendre son parti et renoncer à concilier ce qui peut-être est inconciliable, à savoir l’idée et la pratique. On dirait vraiment que le sens exquis d’une chose en exclut la pratique, et que d’autre part l’action porte en elle je ne sais quoi de grossier, de brutal, qui s’oppose aux raffinemens de l’intelligence. Çà et là de rares exceptions s’offrent bien. Byron en était une, et je me suis souvent figuré le noble lord en humeur poétique lançant à fond de train sa jument sur les sables du Lido. Mais Weber, quel triste chasseur et pourtant quel glorieux, quel sublime chantre de la chasse ! Tout ceci nous amène à parier de sa vie. Notons rapidement quelques traits caractéristiques,