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La musique est de son principe romantique et portée à la fantaisie, en d’autres termes à la forme la plus idéale où l’imagination puisse s’élever. À ce compte, l’antiquité, accoutumée à diviniser le type humain, à se représenter ses dieux sous la figure de ses héros ; l’antiquité grecque, préoccupée surtout des arts plastiques, devait nécessairement ignorer la musique, du moins dans les conditions mélodieuses en dehors desquelles il ne saurait exister pour nous de combinaisons sonores. Entre Aristote, qui penche pour l’imitation exacte de la nature, et Platon, l’apôtre inspiré des idées innées, de quel côté l’instinct musical se laissera-t-il sentir ? Faut-il vous l’apprendre ? Le troisième livre de la République en dit plus long à ce sujet que tous les commentaires, non qu’il renferme sur un point si obscur des révélations autres que celles que l’intelligence la plus simple de l’antiquité nous livrera, mais du moins est-on frappé de voir, au plus beau triomphe de l’art plastique, l’art musical choisir pour interprète le représentant des idées, celui qui, vis-à-vis de l’empirisme du Lycée, va soutenir que les types du beau, loin de se déployer aux yeux de l’artiste, reposent au plus profond de son ame à l’état de mystiques réminiscences d’une vie antérieure. En dépit de tant de savantes recherches, de tant de commentaires et de théories, nous ne possédons guère sur la musique des anciens que des connaissances fort restreintes, et bien des braves gens se creusent encore la cervelle qui tôt ou tard succomberont à la tâche sans avoir résolu le problème et sans nous avoir appris là-dessus autre chose que ce qu’on trouve dans les écrits de Ptolémée, de Plutarque et de Platon. Or, de ces différens écrits, quelle conclusion tirer, sinon que les Grecs n’ont jamais eu la moindre idée de la mélodie, et que leur musique était tout simplement un système destiné à régulariser les mouvemens, un art de la mesure et de la quantité, répondant du reste dans sa sphère à toutes les conditions de l’art plastique ? En effet, on ne nous dit pas que la musique ait jamais joué chez les Grecs un rôle indépendant ; au contraire, l’emploi qu’on lui réserve est subalterne, et, pourvu qu’elle accompagne les danses et les pantomimes, la Polymnie antique n’en demande pas davantage. En admettant d’ailleurs que les Grecs connussent l’échelle diatonique, rien ne nous porte à présumer qu’ils aient jamais eu le secret de la base harmonique sur laquelle repose notre système de mélodie. Le rhythme, en outre, ne saurait constituer à lui seul un art musical, attendu que le rhythme peut fort bien exister en dehors de cet art. Aux temps nouveaux seuls il était réservé de pénétrer dans le monde des sons et d’en approfondir les mystères.

C’est un fait désormais reconnu que la musique sort du christianisme et se développe avec lui. La musique tient dans le monde nouveau la place que la statuaire occupait dans le paganisme. Par son caractère de spiritualisme ineffable, l’art des sons pouvait seul parvenir