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spiritualisme de Turgot et de Rousseau, ou encore le sensualisme tempéré de Voltaire ; mais non, ils ont reculé bien au-delà : ils sont descendus jusqu’à la triste métaphysique de d’Holbach et de La Mettrie,

Des phénomènes sensibles, et au-delà le soupçon vague d’une cause unique de ces phénomènes, cause aveugle, indéterminée, produisant tout par des lois nécessaires, telle est en substance la métaphysique du Système de la Nature. C’est trait pour trait celle de la philosophie positive.

La philosophie positive n’admet d’autres faits que ceux qui tombent sous les sens ; elle reconnaît que ces faits ont des lois, mais des lois nécessaires. Elle ajoute que ces lois sont très simples, mais elle a soin d’expliquer qu’on doit bien se garder d’entendre qu’il y ait dans la nature un plan conçu avec intelligence. Non ; ces lois sont simples, parce qu’elles résultent immédiatement des propriétés de la matière. Maintenant cette matière, cause aveugle de faits nécessaires, est-elle simple ou multiple ? C’est une question sur laquelle, il est vrai, la philosophie positive ne se prononce pas nettement ; mais d’Holbach et ses amis ne se prononçaient pas davantage, et, pourvu que l’ame et Dieu fussent supprimés une bonne fois, ils étaient coulans sur tout le reste.

Il m’est pénible d’insister encore ; mais enfin il faut suivre la philosophie positive jusqu’au bout et en toucher le dernier fond. Entre l’hypothèse d’une intelligence divine et celle d’une cause aveugle et fatale ou d’une infinité de pareilles causes, MM. Comte et Littré tiennent-ils la balance égale ? Ils le devraient d’après leur système, et on le voudrait pour eux. Pourtant il n’en est rien. On ne saurait voir sans une profonde tristesse ces esprits éclairés et sincères déployer contre l’idée sainte d’une providence infinie une espèce d’acharnement. En présence des maux qui accablent l’homme et des étonnantes oppositions qui se rencontrent dans la nature, je comprends et je plains les angoisses d’une ame troublée, je m’explique les doutes qui viennent assaillir le naturaliste et le philosophe ; mais cette négation ardente et obstinée, ce dogmatisme désolant, excitent en moi un étonnement douloureux et une tristesse sans sympathie. Ces cieux, cet harmonieux univers, qui remplissaient l’ame de Keppler, de Newton et de Linné d’un religieux enthousiasme, MM. Comte et Littré les trouvent mal faits ; ils s’oublient jusqu’à dire en propres termes que ce monde ne fait paraître qu’un degré de sagesse inférieur à celui que possède l’homme, et qu’il est aisé, dans le détail comme dans l’ensemble, de concevoir beaucoup mieux. Quoi ! la nature des choses a été à ce point malhabile et si peu d’accord avec elle-même ! elle a pu peupler l’espace de mondes infinis, faire circuler au sein de tous les êtres des torrens de vie, et elle n’a pas su leur donner des lois assez raisonnables pour qu’une de ses innombrables créatures les puisse approuver ! Quoi ! elle a pu produire l’intelligence