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barque fermée, on risquait que leurs cris fussent entendus sur la route. En pays turc, le changement de religion est la seule circonstance où cesse le pouvoir des consuls sur les nationaux.

— Mais pourquoi faire enlever ces pauvres gens ? dis-je au consul ; en auriez-vous le droit au point de vue de la loi française ? — Parfaitement ; dans un port de mer, je n’y verrais aucune difficulté. — Mais si l’on suppose chez eux une conviction religieuse ? — Allons donc, est-ce qu’on se fait Turc ? — Vous avez ici quelques Européens qui le sont devenus. — Sans doute ; de hauts employés du pacha, qui autrement n’auraient pas pu parvenir aux grades qu’on leur a conférés, ou qui n’auraient pu se faire obéir des musulmans. — J’aime à croire que chez la plupart il y a eu un changement sincère, autrement je ne verrais là que des motifs d’intérêt. — Je pense comme vous, dit le consul, mais voici pourquoi, dans les cas ordinaires, nous nous opposons de tout notre pouvoir à ce qu’un sujet français quitte sa religion. Chez nous, la religion est isolée de la loi civile ; chez les musulmans, ces deux principes sont confondus. Celui qui embrasse le mahométisme devient sujet turc en tout point, et perd sa nationalité européenne. Nous ne pouvons plus agir sur lui en aucune manière, il appartient au bâton et au sabre, et, s’il retourne au christianisme, la loi turque le condamne à mort. En se faisant musulman, on ne perd pas seulement sa foi, on perd son nom, sa famille, sa patrie ; — on n’est plus le même homme, on est un Turc ; c’est fort grave, comme vous voyez.

Cependant le consul nous faisait goûter un assez bel assortiment de vins de Grèce et de Chypre dont je n’appréciais que difficilement les diverses nuances à cause d’une saveur prononcée de goudron, qui, selon lui, en prouvait l’authenticité. Il faut quelque temps pour se faire à ce raffinement hellénique, nécessaire sans doute à la conservation du véritable malvoisie, du vin de commanderie ou du vin de Ténédos.

Je trouvai dans le cours de l’entretien un moment pour exposer ma situation domestique ; je racontai l’histoire de mes mariages manqués, de mes aventures modestes. Je n’ai aucunement l’idée, ajoutai-je, de faire ici le Casanova. Je viens au Caire pour travailler, pour étudier la ville, pour en interroger les souvenirs, et voilà qu’il est impossible d’y vivre à moins de soixante piastres par jour, ce qui, je l’avoue, dérange mes prévisions. — Vous comprenez, me dit le consul, que dans une ville où les étrangers ne passent qu’à de certains mois de l’année, sur la route des Indes, où se croisent les lords et les nababs, les trois ou quatre hôtels qui existent s’entendent facilement pour élever les prix et éteindre toute concurrence. — Sans doute ; aussi ai-je loué une maison pour quelques mois. — C’est le plus sage. — Eh bien ! maintenant on veut me mettre dehors, sous prétexte que je n’ai pas de femme. — On en a le droit ; M. Clot-Bey a enregistré ce détail dans son livre. M. William