eux-mêmes un système dont ils sont si aveuglés, qu’ils en perdent jusqu’au sentiment des faits ! Croirait-on que M. Comte pousse l’horreur des idées absolues jusqu’à vouloir qu’il n’y ait en géométrie que de simples phénomènes ? Il nous parle de phénomènes géométriques, comme on dit des phénomènes physiques ; il ne nous manque plus que des phénomènes algébriques.
Après avoir fait une si rude guerre aux idées absolues, la philosophie positive se décide à faire grace à une de ces idées, l’idée de loi. On le conçoit : rejeter l’idée de loi, pour elle, c’était périr ; car la philosophie positive a deux prétentions, celle d’avoir découvert la loi fondamentale de l’humanité, et celle de réduire toute science à la recherche de certaines lois. Il n’y avait donc pas moyen de supprimer l’idée de loi ; mais autant il y avait nécessité à ne pas la nier, autant il y avait inconséquence à l’introduire, car enfin c’est bien là une idée absolue, ou aucune autre ne mérite ce nom. Qui dit loi dit quelque chose d’invariable, d’universel, de nécessaire. J’en appelle à Montesquieu. « Les lois, dit-il, sont les rapports nécessaires qui dérivent de la nature des choses. » MM. Comte et Littré acceptent expressément cette belle définition. C’est à merveille ; mais elle est mortelle pour leur doctrine ; car les sens et l’expérience sont évidemment incapables de conduire à rien d’universel, d’invariable, de nécessaire. MM. Comte et Littré disent avec raison que le vrai caractère d’une science, c’est de prévoir, et cette juste remarque montre bien qu’il y a un sens profond dans l’idée que les peuples enfans se forment des intelligences supérieures en leur accordant le don de prophétie ; mais, pour être bon prophète, il faut prédire à coup sûr, et comment l’expérience, qui ne s’applique qu’au présent et au passé, pourrait-elle, livrée à elle-même, anticiper l’avenir ?
Il faut donc s’élever ici à une conception qui dépasse l’horizon de la physique, à l’idée d’un ordre universel, d’un plan général du monde, d’une fin commune à laquelle tendent les êtres, et qui explique la loi de leurs mouvemens.
Or, de toutes les idées absolues, il n’en est aucune à laquelle la philosophie positive répugne plus invinciblement qu’à celle de cause finale. Ici, MM. Comte et Littré recentrent un auxiliaire puissant et inattendu : c’est Descartes. Descartes, il est vrai, a proscrit en physique l’emploi des causes finales, et j’ajoute que par là il a rendu à la science de la nature un immortel service. D’abord, la scholastique avait étrangement abusé des causes finales, et Descartes, en les exilant, accomplissait une réaction nécessaire ; de plus, on ne saurait disconvenir que l’objet propre de la science de la nature, ce ne soit d’observer les faits et non de découvrir leurs causes ; toute idée a priori sur les principes et les fins des êtres est essentiellement subordonnée à l’expérience, qui est et qui doit rester ici juge souverain. Faut-il conclure de là pourtant que l’idée