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une cause, non pas une cause abstraite, mais une cause active, vivante, féconde, en relation avec un système d’organes qui tantôt lui obéissent et tantôt lui sont rebelles, qui réagissent sur elle après avoir éprouvé son action, et la mettent en communication avec la nature, la société, la vie universelle. Ce sentiment de la force une et identique, du moi, c’est ce qui constitue essentiellement un phénomène psychologique.

Encore un coup, ce moi n’est pas isolé, car non-seulement dans les impressions qui lui viennent du dehors ou dans les actes extérieurs qu’il contribue à accomplir, mais même dans la réflexion la plus abstraite, dans le plus énergique effort pour s’isoler du monde physique, il y a toujours en nous un sentiment confus, une image indistincte des choses extérieures : c’est là un fait d’observation que tous les grands psychologues, Aristote et Kant en première ligne, ont depuis long-temps reconnu ; mais si, comme on dit en langue technique, le moi n’est jamais sans le non-moi, cela n’empêche pas qu’il ne s’en distingue, qu’il ne sache faire la différence entre ce qui vient proprement de lui et qui est sien, et ce qui, venant du dehors, lui révèle des causes étrangères.

Voilà la distinction très simple qui sépare sans les isoler le monde physique et le monde moral, et donne au spiritualisme un légitime et indestructible fondement. Les Écossais, je l’avoue, et particulièrement Dugald-Stewart, n’ont pas toujours bien démêlé la nature de cette distinction. Ils ont cru que la psychologie, comme la physique, n’avait pour objet que des faits, ne voyant pas qu’elle saisit en même temps une cause, savoir le principe même qui a conscience, le moi. Connaissant mal la nature propre des faits psychologiques, les isolant du moi et les considérant ainsi d’une manière abstraite, ils les ont trop séparés des autres faits perçus par l’intelligence humaine. Mais qu’importe cette erreur passagère ? Toute méthode, si légitime qu’elle soit, n’est-elle pas exposée à être faussée dans l’application ? Les mathématiciens, dont la méthode passe à juste raison pour infaillible, ne se sont-ils jamais trompés sur sa nature et sur les conditions de son légitime usage ?

La psychologie n’est pas née d’hier. Avant que les Écossais en eussent proclamé l’excellence, elle était dans le monde ; elle s’y était établie par des travaux durables, par des services immortels. Parce que le nom de cette science est assez nouveau, on s’est cru autorisé à la traiter avec dédain ; mais, en vérité, quand on entend certains physiologistes parler d’un ton si tranchant et si altier d’une science aussi vieille que l’esprit humain, on ne peut assez admirer tant de confiance : ne dirait-on pas que la physiologie est une science très avancée, tandis que celle de l’homme moral est encore au berceau ? Qu’on y prenne garde cependant, la comparaison est tout à l’avantage de la psychologie. En affirmant que parmi les fonctions organiques il n’en est pas une seule qui soit véritablement connue, je suis sûr de n’être démenti par aucun physiologiste