12 REVUE DES DEUX MONDES.
oualems, ce qui peut bien avoir fourni le terme connu de goualeuses à cette vieille langue argotique puisée aux sources de l’Égypte et de la Bohême. Quant aux danseurs autorisés par la morale musulmane, ils s’appellent khowals.
En sortant du café, je traversai de nouveau l’étroite rue qui conduit au bazar franc pour entrer dans l’impasse Waghorn et gagner le jardin de Rosette. Des marchands d’habits m’entourèrent, étalant sous mes yeux les plus riches costumes brodés, des ceintures de drap d’or, des armes incrustées d’argent, des tarbouchs garnis d’un flot soyeux à la mode de Constantinople, choses fort séduisantes qui excitent chez l’homme un sentiment de coquetterie tout féminin. Si j’avais pu me regarder dans les miroirs du café, qui n’existaient, hélas ! qu’en peinture, j’aurais pris plaisir à essayer quelques-uns de ces costumes, — mais assurément je ne veux pas tarder à prendre l’habit oriental. Avant tout, il faut songer encore à constituer mon intérieur.
Je rentrais chez moi plein de ces réflexions, ayant depuis longtemps renvoyé le drogman pour m’y attendre, car je commence à ne plus me perdre dans les rues ; je trouvai la maison pleine de monde. Il y avait d’abord des cuisiniers envoyés par M. Jean, qui fumaient tranquillement sous le vestibule, où ils s’étaient fait servir du café ; puis le Juif Yousef, au premier étage, se livrant aux délices du narghilé, et d’autres gens encore menant grand bruit sur la terrasse. Je réveillai le drogman qui faisait son kef (sa sieste) dans la chambre du fond. Il s’écria comme un homme au désespoir : — Je vous l’avais bien dit ce matin ! — Mais quoi ? — Que vous aviez tort de rester sur votre terrasse. — Vous m’avez dit qu’il était bon de n’y monter que la nuit pour ne pas inquiéter les voisins. — Et vous y êtes resté jusqu’après le soleil levé. — Eh bien ? — Eh bien ! il y a là-haut des ouvriers qui travaillent à vos frais et que le cheik du quartier a envoyés depuis une heure.
Je trouvai en effet des treillageurs qui travaillaient à boucher la vue de tout un côté de la terrasse. — De ce côté, me dit Abdallah, est le jardin d’une khanoun (dame principale d’une maison) qui s’est plaint de ce que vous avez regardé chez elle. — Mais je ne l’ai pas vue… malheureusement. — Elle vous a vu, elle, cela suffit. — Et quel âge a-t-elle, cette dame ? — Oh ! c’est une veuve ; elle a bien cinquante ans.
Cela me parut si ridicule, que j’enlevai et jetai au dehors les claies dont on commençait à entourer la terrasse ; les ouvriers surpris se retirèrent sans rien dire, car personne au Caire, à moins d’être de race turque, n’oserait résister à un Franc. Le drogman et le Juif secouèrent la tête sans trop se prononcer. — Je fis monter les cuisiniers, et je retins