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incontestées, c’était assurément la restauration d’un membre de la famille Schaab comme administrateur unique du Liban ; tout le monde l’a senti, et les puissances ont par conséquent aussitôt penché soit pour l’administration directe de la Porte, soit pour le gouvernement séparé des Druses et des Maronites par eux-mêmes : la France a suivi. On sait ce que la Syrie a gagné à ces deux systèmes ; on sait aussi que celui de la France est partout considéré comme un gage de paix et de sécurité. Nous devons cette justice à M. Guizot que dès 1842 il s’est préoccupé du retour de la famille Schaab ; malheureusement il y avait là une question, une question européenne : aussi a-t-on bientôt fini par passer à côté. Ce n’est jamais un crime et c’est souvent sagesse de ne point trancher tous les nœuds avec l’épée d’Alexandre ; encore faut-il y mettre la main, si l’on veut les dénouer. Nous voyons bien par les dépêches que M. Guizot a eu l’intention de rétablir dans le Liban l’état de choses d’avant 1840, mais nous voyons en même temps qu’il a surtout craint de montrer cette intention salutaire. C’était, nous dit-on, le seul moyen de réussir ; c’est là justement ce qui nous afflige, d’autant mieux que nous attendons toujours le succès. Et cependant qu’est-il arrivé ? Le déplorable régime auquel la Syrie demeure condamnée a produit des complications nouvelles ; des sujets français ont été violentés ; on a assassiné un religieux, on a pillé des couvens placés sous notre protection ; il est sorti de là une tout autre question que la grande, une question purement française à vider exclusivement avec le gouvernement turc. La question européenne qu’il fallait débattre avec les puissances est ainsi retombée dans l’ombre. M. de Bourqueney, qui avait été plus que réservé sur ce point-là, s’est trouvé d’une bravoure exemplaire vis-à-vis de la Porte ; il a menacé de s’enfermer aux Sept-Tours, s’il n’obtenait des satisfactions certaines. Il les a obtenues ; mais de la famille Schaab il n’a plus été dit un mot dans les correspondances, et notre ambassadeur semble même assez médiocrement contrarié d’avoir autre chose à faire que de travailler pour elle. C’est là le plus clair progrès des négociations ; on cesse de poursuivre l’intérêt général et permanent de notre politique pour se dévouer à des intérêts sans doute très respectables, mais aussi très particuliers et tout accidentels. Depuis 1845, M. Guizot, qui déplore toujours les vices du système administratif de 1842, se réduit à la tâche de les corriger par des palliatifs, au lieu de plaider la cause de l’organisation d’avant 1840, seul remède efficace aux maux du Liban ; il délaisse la question européenne « pour éviter aux yeux des cours l’apparence d’une action propre qui cherche à dépasser ou à devancer la leur ; » il se retranche sur la question nouvelle des indemnités et des réparations dues spécialement à la France. La France pourra t-elle au moins parler là pour son compte, puisqu’elle est seule en cause ? Il ne faut pas l’espérer ; nous avons tellement pris l’habitude d’une action commune avec les puissances dans cette grande affaire où nous avions pourtant un rôle à part, que la Porte commence à douter de notre droit d’initiative jusque dans les petites affaires qui n’intéressent que nous. La première objection qu’elle ait élevée contre la validité des exigences de M. de Bourqueney, c’est que les autres puissances ne réclamaient rien pour leurs nationaux. Voilà tout le chemin que nous avons fait depuis six ans. Notre seul dédommagement, c’est de n’avoir pas blessé l’Autriche et de garder l’espoir très contesté de l’amener à nous. On ne sait pas assez ce qu’il nous en coûte en Orient pour avoir l’air de bien vivre avec M. de Metternich. Il y a là