le sentiment général est qu’on fera beau jeu à tout cabinet, quel qu’il soit. Cette fatigue qui suit naturellement une grande tension politique ira-t-elle au point de permettre que sir Robert Peel lui-même garde le pouvoir ; quelques personnes semblent encore le supposer. Pour nous, le plus grand obstacle que nous voyons au maintien de sir Robert Peel, c’est le caractère connu, ce sont les habitudes parlementaires, c’est le tact politique de cet homme d’état. Il est clair qu’une fois le bill des céréales et le bill des douanes votés, il perd tout ce qui faisait son autorité ; ces grandes mesures de salut public une fois accomplies, sir Robert Peel ne serait plus le ministre nécessaire, mais seulement le spoliateur des whigs, persistant à tenir leur place malgré les échecs du scrutin. Il n’y réussirait qu’à l’aide de compromis et de connivences insupportables du moment où le besoin pressant du pays ne les justifierait plus ; il abandonnerait enfin le bénéfice de toutes les alternatives que peut offrir l’avènement d’un nouveau ministère pour engager une nouvelle lutte. Quoi qu’il en soit, nous ne pouvons nous défendre d’admirer ce calme parfait du pays au milieu d’une complication si délicate, cette régularité merveilleuse avec laquelle fonctionne la machine constitutionnelle au milieu de questions si graves. Les hommes valent beaucoup sans doute, le système vaut encore davantage. Il s’agit de le pratiquer sans mesquines préoccupations.
A cet égard, ce qui se passe en Angleterre peut être un utile enseignement au moment où la voix de tous les partis va solliciter la France entière. La chambre des députés est déjà dispersée, et la pairie termine ses travaux. Dans ses dernières séances, la chambre des pairs a accordé une attention toute particulière et toute sympathique à deux questions importantes, la marine et l’Algérie. Elle a voté à quelques jours de distance le budget de la marine et le projet de loi qui ouvre un crédit extraordinaire de 93 millions pour la construction navale et l’approvisionnement des arsenaux maritimes. Dans ces deux occasions, l’amoindrissement de la marine marchande a été signalé comme une des causes les plus fâcheuses de l’infériorité de notre puissance navale. On chercherait en vain sur les bancs de la pairie des adversaires systématiques de l’occupation de l’Algérie. Tout le monde au Luxembourg, les administrateurs et les généraux, les hommes politiques et les notabilités des deux armées de terre et de mer, sont d’accord sur la nécessité glorieuse qui oblige la France à enraciner sa domination en Afrique. A une aussi franche adhésion, la chambre des pairs joint encore le mérite d’une sage réserve sur les plans et les systèmes à suivre. Elle comprend que ces questions si compliquées et si difficiles appartiennent surtout au pouvoir exécutif, et elle s’attache plutôt à soutenir le gouvernement, à exciter son zèle, à provoquer son initiative, qu’à le devancer. Telle est la pensée qui domine dans le remarquable rapport de M. de Barante sur les crédits extraordinaires de l’Algérie. Nous l’avons aussi retrouvée dans les éloquentes paroles de M. Villemain parlant au nom de la commission. Quelques jours avant d’aborder l’examen du budget et des crédits extraordinaires, la chambre des pairs avait été profondément émue par un grave et triste incident. Elle avait entendu M. le prince de la Moskowa protester avec autant de noblesse que de modération contre d’inexplicables paroles échappées à M. le chancelier dans le huis-clos de la cour des pairs. Comment M. Pasquier, auquel les convenances les plus hautes et les plus délicates sont si familières, a-t-il pu se laisser