Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 15.djvu/171

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pas davantage. Nous ne dirons pas aux électeurs de considérer les fonctions publiques comme un préjugé défavorable, comme une cause d’exclusion : nous leur demanderons seulement de ne garnir les bancs de la chambre que de fonctionnaires éminens, tant par les services rendus que par leur rang dans la hiérarchie de l’administration, de l’armée ou de la magistrature. De cette façon, la représentation nationale aura dans son sein l’élite de la France officielle, mais elle ne servira pas de passage, de degré à des prétentions vaniteuses, à d’insatiables convoitises. Il est permis aussi de demander aux électeurs de ne pas pousser trop loin l’enthousiasme du clocher, et de ne pas nous envoyer trop de petites gens. C’est une cause de dépendance qu’un esprit borné. Des intelligences élevées, des situations faites et honorables, voilà ce que nous recommandons aux suffrages des électeurs. C’est un devoir pour eux de renvoyer à la chambre tous les hommes éminens qui en sont l’honneur ; il est des noms illustres qui, dans quelque parti qu’ils figurent, appartiennent de droit à la représentation nationale. Après cette part faite à l’aristocratie du talent, les électeurs doivent garder toute leur liberté. Ils ne sont pas inféodés à tels hommes médiocres pour qui la députation est comme une habitude, une manière d’être. Pourquoi n’essaieraient-ils pas des hommes nouveaux ? On annonce, au surplus, un innombrable essaim de candidats : des représentans de la même opinion se disputeront le même siège au parlement ; plusieurs ambitions de la même couleur viendront s’abattre sur la même proie. Voilà une concurrence qui ouvre un vaste champ aux préférences et au discernement des électeurs.

C’est quand le pays n’est plus troublé par des mouvemens intérieurs qu’il est possible et sage d’envisager l’avenir et de s’y préparer. De quelque côté que nous jetions les yeux au dehors, en Allemagne, en Italie, en Angleterre, nous trouvons dans les affaires européennes des complications sérieuses qui nous font désirer de voir la nouvelle chambre s’enrichir le plus possible d’aptitudes véritables et de forces vives. Nous nous avançons vers une époque où la politique ne sera plus, comme dans ces dernières années, totalement éclipsée par les intérêts matériels. Des causes puissantes viendront nous contraindre à agrandir notre horizon. Voici déjà, à la veille des élections générales, une révolution ministérielle qui paraît imminente en Angleterre. Pour nous, les conséquences de cet événement ne sauraient être immédiates. Cependant la seule pensée de cette péripétie a fait dresser l’oreille à tous nos hommes politiques. Cette coïncidence, dont ici le cabinet s’estimait si heureux, d’une administration tory et d’un ministère conservateur, cette coïncidence n’existerait plus. Il faudra traiter avec d’autres hommes qu’on a long temps considérés comme des adversaires. Sans doute, pour les relations internationales, l’uniformité de couleur politique dans les deux cabinets qui mènent les affaires des deux pays n’est pas une nécessité rigoureuse. Nous n’oublions pas que l’hiver dernier la presse anglaise déclarait que cette uniformité n’était en aucune manière une condition indispensable de la paix entre les deux nations. Cela est vrai. Toutefois on ne saurait nier que cette ressemblance d’opinions et de partis ne puisse être une facilité pour l’amiable expédition des affaires. C’est du moins ce que souvent on nous a fait entendre au nom du ministère du 29 octobre. Aujourd’hui on se hâte de déclarer que l’avènement d’un ministère whig ne changera rien à la situation.