avec les têtes vulgaires désignées sous ces noms glorieux. L’Alcibiade offre un mélange attrayant d’intelligence et de mollesse. Toutes les qualités que je viens d’énumérer sont traduites par le pinceau avec une clarté, une évidence, que la parole surpasserait difficilement. Cependant, je l’avouerai sans hésitation, je préfère à l’ami de Patrocle, à l’élève d’Aristote, à l’élève de Socrate, la figure d’Aspasie. Il y a dans le visage, dans l’attitude, dans la draperie de cette figure, une grace, une élégance, une finesse, une majesté, dont aucune parole ne saurait donner une image fidèle. A mon avis, M. Delacroix n’a jamais rien fait qui se puisse comparer à ce personnage. La tête légèrement inclinée sur l’épaule, le corps enveloppé dans la draperie dont chaque pli exprime le mouvement et la forme, l’attitude pleine à la fois de mollesse et de modestie, tout se réunit pour enchanter le regard et ravir la pensée. La main ramenée sur la draperie se détache avec une vigueur, un éclat qui ferait envie aux maîtres les plus habiles. Si les additions faites par M. Delacroix au quatrième chant de l’Enfer avaient besoin d’être justifiées, cette figure d’Aspasie suffirait à sa défense. Il n’a jamais été mieux inspiré qu’en créant ce beau corps dont les mouvemens semblent réglés par une musique divine, qu’en modelant ces lèvres vermeilles dont le frémissement exprime à la fois le génie et la volupté. Puisque Camille et Lavinie, nommées par le poète florentin, ne parlaient pas à son imagination aussi vivement qu’Aspasie, il a bien fait d’ajouter à ce groupe de philosophes et de héros la femme illustre dont Socrate ne dédaignait pas les leçons, et qui sut fixer le cœur de Périclès.
Ce qui caractérise la nouvelle composition de M. Delacroix, c’est l’union à peu prés constante de l’élégance et du mouvement. Dans les œuvres nombreuses qu’il nous a données depuis ses premiers débuts, nous avons trop souvent regretté de voir l’élégance sacrifiée au mouvement. Toutefois la nature généralement dramatique des sujets choisis par M. Delacroix expliquait sans le justifier le sacrifice dont nous parlons. En étudiant le Massacre de Scio, le Meurtre de l’évêque de Liège, on pouvait se sentir blessé par la forme incorrecte ou inachevée des personnages ; mais le mouvement, l’énergie, la vie, disposaient le spectacle à l’indulgence. Le sujet que M. Delacroix a traité dans la coupole de la chambre des pairs n’ayant pas, à proprement parler, de caractère dramatique, plaçait l’auteur dans une condition plus difficile. Ici l’élégance était une nécessité absolue. Les formes incorrectes ou inachevées auraient offensé tous les regards. L’œuvre étant, par sa nature même, destinée à produire une impression plus calme et plus douce, la pensée n’étant pas distraite de l’étude des formes par l’énergie des sentimens exprimés, l’œil devait fatalement se montrer plus sévère. M. Delacroix l’a parfaitement compris, et il s’est mis en mesure de faire face à ces nouvelles exigences. Il ne s’est pas montré moins riche,