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sa fille pour achever sa route, et ils l’ont achevée ensemble ; il ne s’est interrompu dans ses souffrances que pour lui dicter ses derniers chants, et elle ne s’est interrompue dans ses soins que pour les écrire. Jeanne d’Arc s’adresse à la France, comme la Divine Épopée s’adressait à l’humanité tout entière. Là, c’était le rachat de l’enfer par une seconde immolation du Christ ; ici, c’est le salut de la France par l’immolation d’une vierge. L’auteur a parfaitement saisi le caractère de la mission de Jeanne ; par malheur, en voulant fondre dans un même ensemble tous les genres et toutes les nuances, combiner dans un même cadre l’idylle, l’ode, le drame, l’épopée, l’élégie, associer les croyances du moyen-âge aux idées modernes, et renchérir encore sur le merveilleux légué par l’histoire, il est tombé dans une inextricable confusion. Jeanne d’Arc est une trilogie, dont la première partie est intitulée idylle, la seconde épopée, la troisième tragédie, ce qui donne pour la totalité du poème : un prologue, dix-huit chants, cinq actes et un épilogue. En ce qui concerne l’héroïne, M. Soumet a suivi avec une assez grande exactitude les chroniques et les renseignemens qu’on trouve dans le procès. Jeanne, dans l’idylle, est présentée à Charles VII, et elle raconte son enfance, ses visions, à peu près comme elle aurait pu le faire à l’assemblée de Poitiers, mais avec un rhétorisme beaucoup plus abondant. Elle devient savante ; aux mots simples, naïfs et profonds tout à la fois, transmis par l’histoire, le poète substitue une paraphrase sonore ; écoutons-le dans la trilogie raconter l’apparition des anges et de saint Michel :

Un jour, — j’en tremble encore et d’extase et d’effroi ! —
Un jour que, priant Dieu pour la France et le roi,
J’ornais de frais rameaux l’église du village,
- Me croirez-vous ?… - je vis resplendir le feuillage,
Et dans l’air s’avancer, à travers le vieux mur,
Monseigneur saint Michel sous un manteau d’azur.
Du glaive flamboyant sa main était chargée.
Son aile, blanche et grande et d’or toute frangée,
Se déployait en arc, et sur son front béni
Reposait le rayon du bonheur infini. .
Son vol, tout lumineux, qui m’apparut sans voiles,
Faisait naître en passant des nuages d’étoiles ;
Il brillait à mes yeux, pleins de ravissement,
Comme un saphir tombé du haut du firmament.
Les lis que Salomon admirait dans leur gloire
Ont un éclat moins pur que sa robe de moire ;
Les airs sont moins légers que ses cheveux flottans,
Et sa voix ressemblait au souffle du printemps,
Lorsqu’il glisse, au matin, sous les branches fleuries
Des tendres amandiers, bouquets de nos prairies.

Voici maintenant l’exacte traduction de ce que dit l’héroïne dans son procès, à propos de cette même vision : Parmi ces anges, les uns se ressemblaient, les autres ne se ressemblaient pas ; les uns avaient des ailes, les autres des couronnes. Quant à saint Michel, il ne m’inspira aucune crainte (le poète dit : J’en tremble encore et d’extase et d’effroi ! ) ; mais j’étais courroucée de son