LES FEMMES DU CAIRE. 7
un cercle dans l’air avec le long tuyau de son chibouk, et il en tomba deux ou trois sur le plancher. Il secoua la tête en regardant ces énormes cigales vertes et roses, et me dit : — Vous n’en avez jamais mangé ?
Je ne pus m’empêcher de faire un geste d’éloignement pour une telle nourriture, et cependant, en leur ôtant les ailes et les pattes, elles doivent ressembler beaucoup aux crevettes de l’océan.
— C’est une grande ressource dans le désert, me dit Abdallah ; on les fume, on les sale, et elles ont, à peu de chose près, le goût du hareng saur ; avec de la pâte de dourah, cela forme un mets excellent.
— Mais à ce propos, dis-je, ne serait-il pas possible de me faire ici im peu de cuisine égyptienne ? Je trouve ennuyeux d’aller deux fois par jour prendre mes repas à l’hôtel.
— Vous avez raison, dit Abdallah ; il faudra prendre à votre service un cuisinier.
— Eh bien ! est-ce que le barbarin ne sait rien faire ?
— Oh ! rien. Il est ici pour ouvrir la porte et tenir propre la maison, voilà tout.
— Et vous-même, ne seriez-vous pas capable de mettre au feu un morceau de viande, de préparer quelque chose enfin ?
— C’est de moi que vous parlez ? s’écria Abdallah d’un ton profondément blessé ; non, monsieur, je ne sais rien de semblable.
— C’est fâcheux, repris-je en ayant l’air de continuer une plaisanterie, nous aurions pu en outre déjeuner avec des sauterelles ce matin ; mais, sérieusement, je voudrais prendre mes repas ici. Il y a des bouchers dans la ville, des marchands de fruits et de poisson… Je ne vois pas que ma prétention soit si extraordinaire.
— Rien n’est plus simple en effet : prenez un cuisinier. Seulement, un cuisinier européen vous coûtera un talari par jour. Encore les beys, les pachas et les hôteliers eux-mêmes ont-ils de la peine à s’en procurer.
— J’en veux un qui soit de ce pays-ci, et qui me prépare les mets que tout le monde mange.
— Fort bien, nous pourrons trouver cela chez M. Jean. Cest un de vos compatrioles qui tient un cabaret dans le quartier cophte, et chez lequel se réunissent les gens sans place.
M. Jean est un débris glorieux de notre armée d’Égypte. Il a été l’un des trente-trois Français qui prirent du service dans les Mamelouks après la retraite de l’expédition. Pendant quelques années, il a eu comme les autres un palais, des femmes, des chevaux, des esclaves : à l’époque de la destruction de cette puissante milice, il fut épargné comme Français ; mais, rentré dans la vie civile ; ses richesses se fondirent en peu de