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Jeanne au duc de Bourgogne le 26 juillet 1429. Quant à M. Lebrun de Charmettes, il n’a fait que compiler et mettre en ordre les travaux de ses prédécesseurs, et, comme il arrive souvent, par cela même qu’il leur doit beaucoup, il les juge avec une grande sévérité. Malgré de nombreuses inexactitudes et des hors-d’œuvre, tels que des traductions du Te Deum et du Veni Creator, les quatre volumes de M. Lebrun offrent, par le détail et l’entassement des analyses et des textes, un vif intérêt ; mais par malheur le style est parfois d’une naïveté qui n’est point celle que l’on admire dans les chroniques.

Nous ne nous arrêterons point aux nombreuses compilations de ces dernières années où figure l’héroïne d’Orléans, à ces pastiches malencontreux du moyen-âge placés sous l’invocation de l’angel de la France, à ces dithyrambes néo-catholiques qui nous font presque regretter Le Ragois. Nous ne mentionnerons même que pour mémoire le livre de Guido Goerres, dans lequel le mystique allemand cherche à démontrer, par les faits contemporains, que la vie de la Pucelle est un miracle permanent, qu’elle a obéi, non pas à l’entraînement d’une nature supérieure, aux élans de l’enthousiasme patriotique, aux sincères hallucinations de la foi, mais à l’esprit prophétique, et que, pour chercher le mot de l’énigme, il faut remonter jusqu’à Dieu. L’histoire, mieux informée, devait enfin, par MM. Michelet, de Barante, Sismondi et Henri Martin, replacer dans son véritable jour la noble figure de l’héroïne, et l’épisode de 1429 a trouvé dans ces écrivains des interprètes qui en ont dignement compris la grandeur. Sans doute ils se sont placés, pour juger, à des points de vue divers ; mais tous ils ont également rendu justice à la sincérité de Jeanne, à sa pureté, à son courage. Le récit de M. de Barante est une chronique vivante, pour ainsi dire, colorée comme une légende, mais toujours rectifiée par la raison moderne. Dans M. de Sismondi, la partie légendaire est impitoyablement écartée par l’esprit froid et analytique du calviniste, sans que pour cela l’admiration soit moins vive. L’historien est sans pitié pour les outrages de cette philosophie du XVIIIe siècle à laquelle il appartient lui-même, et les mensonges de ce moyen-âge dont la barbarie l’indigne et l’irrite ; mais, en repoussant le merveilleux, il déclare l’héroïsme de Jeanne plus admirable encore que les pouvoirs surnaturels qu’on lui attribuait. Quant à M. Michelet, on peut dire sans exagération qu’on lui doit le seul poème que nous ayons jusqu’ici sur Jeanne d’Arc, et c’est surtout dans ce bel épisode que se révèle sa nature enthousiaste et profondément sympathique. M. Michelet, qui venge tout à la fois Jeanne par la poésie, la raison et l’érudition, pénètre jusqu’au fond même des croyances du moyen-âge pour y chercher l’interprétation des faits ; il récuse le miracle, mais il admet l’inspiration religieuse en s’inclinant devant les sentimens qui font les martyrs et les héros, la sincérité de la foi et le dévouement au pays. Il est justement sévère pour l’église qui s’égare, mais il montre toujours au-delà des faits humains la mystérieuse action de la Providence sur les grandes choses de ce monde. Ce n’est plus l’archange Michel qui descend des sphères célestes et qui plane comme un oiseau devant l’héroïque enfant ; c’est un rayon divin qui tombe de l’infini sur cette aine d’élite pour éveiller en elle la poésie muette du sentiment.

Tandis que les historiens racontent et que les poètes chantent, — le mot est juste, puisque nous venons de nommer M. Michelet, — les érudits exhument les trop rares documens contemporains que le temps a laissé parvenir jusqu’à