dessus de tous les désirs des sens comme l’amour maternel, la piété et le patriotisme. Sa pureté rayonne autour d’elle et inspire aux hommes grossiers qui l’environnent un respect profond. « Les gens de guerre, dit un chroniqueur contemporain, pouvoient bien remarquer qu’elle estoit bonne pour se divertir et, esbattre en péché charnel, — car Jeanne était belle, et elle avait l’attrait de la douceur, cette grace de la force, — mais sitost qu’ils la regardoient, ils estoient tout refroidis de luxure. » Dans les villes, elle s’entourait de femmes irréprochables, même pendant la nuit, de peur que l’on ne pût calomnier son sommeil. Dans les camps, elle dormait tout armée. Son courage était une sorte de courage mystique qui bravait la mort et ne la donnait pas ; elle portait un étendard au lieu de lance pour éviter de tuer, disant avec orgueil qu’elle n’avait jamais tué personne, et elle ne voulait autour d’elle que des soldats en état de grace. A l’irrésistible élan de la valeur personnelle elle joignait, et c’est là un fait qu’on a trop méconnu, cet instinct de la guerre, ce coup d’œil du champ de bataille, qui fait les grands capitaines et n’attend pas l’expérience. Comme le vainqueur de Rocroy et les héroïques enfans de la révolution française, elle devine tous les secrets de la guerre en voyant l’ennemi pour la première fois. Qu’on la suive en effet dans la campagne de 1429, on y retrouvera tous les principes de la tactique moderne, la rapidité des mouvemens, la vigueur des attaques, les marches rapides à travers les forteresses, les coups de main audacieux contre celles qui gardent les points importans. Elle laisse là cette guerre d’escarmouches et de surprises, ce duel interminable du moyen-âge, pour chercher avant tout les actions décisives. C’est le 29 avril 1429 qu’elle entre en campagne, et le 8 mai la ville d’Orléans était remise en la franchise du roi. Cette première victoire a relevé les courages. Jeanne a compris qu’il fallait se hâter, et elle presse les capitaines français de marcher sur Reims, pour rendre, par le prestige du sacre, quelque grandeur à ce roi qui, détesté par les uns, méprisé par les autres, n’est encore pour l’héroïne elle-même que le gentil dauphin. Le conseil, dit Perceval de Caigny, sembloit très fort à exécuter, car il fallait traverser quatre-vingts lieues de pays occupées par des garnisons anglaises. Personne cependant n’osa contredire cet avis. On se mit en marche. Gergeau fut enlevé le 11 juin, Beaugency le 16. Jeanne, toujours la première à l’attaque, encourageait ses soldats par ces mots heureux qui sont un présage assuré de la victoire : « Ne doutez, la place est nostre, » et les gens des communes, les nobles qui étaient venus à leurs frais combattre sous sa bannière, la suivaient en marchant à la mort, comme s’ils devaient ressusciter le lendemain. Les garnisons anglaises, commandées par Talbot, se mirent en retraite sur Paris. Jeanne, qui savait profiter du succès, décida, malgré l’avis des chefs, qu’on marcherait à leur poursuite, en recommandant de bien seller les chevaux, attendu, disait-elle, que la chasse serait longue. Les deux armées se rencontrèrent à Pathay, et Jeanne marqua par une victoire cette date fatale du 18 juin, qui devait trouver quatre siècles plus tard son funèbre anniversaire dans la journée de Waterloo. La bataille de Pathay ouvrit la route de Reims. La Pucelle entraîna peur ainsi dire le roi malgré lui vers la ville qui gardait la sainte ampoule, et Charles fut sacré le 17 juillet. Jeanne, pendant la cérémonie sainte, se tenait auprès de l’autel, son étendard à la main. Il avait été au danger ; c’était bien moins, comme elle le disait plus tard à ses juges, qu’il fût à l’honneur.
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