non-seulement elle leur parle, mais elle les touche, elle les embrasse. « Dès le premier jour où j’ai vu sainte Catherine et sainte Marguerite, dit la Pucelle dans son procès, j’ai voué entre leurs mains la virginité de mon corps et de mon ame, quoiqu’elles ne l’aient pas demandé. Elles m’ont assuré que, si je gardais mon vécu, elles me conduiraient en paradis, et, si je reste fidèle à ce vœu, je me crois aussi sûre de mon salut que si j’étais dans le ciel. » Cette pureté qui fera son salut doit faire aussi sa grandeur dès cette vie. Sa virginité, aux yeux de ses contemporains, sera le plus sûr garant de sa mission divine. Le péché et la mort, diront les théologiens qui vengeront sa mémoire, sont entrés dans le monde par l’œuvre d’une femme, et c’est par une femme, par une vierge, que la grace est rentrée dans ce monde maudit ; c’est une femme, Isabeau de Bavière, qui a livré le royaume aux Anglais ; c’est une vierge qui a rendu la couronne au roi de France. En ce qui touche la pureté de l’ame et du corps, le mysticisme chrétien, qui a réhabilité toutes les inspirations de la conscience humaine, s’accorde avec les révélations de la poésie primitive. Dans la théurgie antique, les vierges sacrées reçoivent les confidences des dieux. Minerve, symbole de la prudence et de la force, est vierge comme Velléda, parce que ceux-là seuls sont vraiment forts qui triomphent d’eux-mêmes. Dans le christianisme, la virginité affranchit l’ame de ses ténèbres et lui donne la claire vision du monde supra-sensible. « Les vierges, disent les livres saints, sont libres de s’occuper des choses du ciel. » Dans la Jérusalem céleste, elles suivent l’agneau partout où il va ; elles sont comme des prémices consacrées à Dieu, et leur vie est un apprentissage continuel du martyre.
L’obscurité même de sa condition, la faiblesse de son sexe, seront pour Jeanne une nouvelle cause de confiance, un nouvel élément de succès, car elle se rappellera Judith ; femme comme elle, David, qui comme elle gardait les troupeaux, et les livres saints sont là pour lui apprendre que Dieu se plaît souvent à choisir ceux qui sont faibles et dédaignés pour faire éclater sa puissance et confondre les forts, contempla et contemptibilia etigere ut fortia confundat.
Ainsi, pour l’héroïne et pour une partie des hommes de son temps, il est évident que les êtres du monde supra-sensible interviennent directement dans sa destinée ; mais d’après la tradition chrétienne, à côté des anges radieux du ciel, il y a les anges déchus de l’enfer, et c’est une croyance orthodoxe que l’homme, au prix de son ame, peut demander à Satan une puissance supérieure, et que Dieu permet à Satan d’agir. Jeanne se trouve donc placée entre cette double équivoque : Est-ce Dieu, est-ce Satan qui la guide ? Ceux qu’elle défend la déclarent la première sainte du paradis après la mère de Dieu, et la prennent pour un ange plutôt que pour une femme. Ceux qu’elle combat ne voient en elle qu’un instrument du démon. Les premiers se lancent sur ses pas au milieu de l’ennemi, parce qu’elle marche sous l’aile même de saint Michel ; les autres, après avoir reculé devant elle, la brûlent quand les hasards de la guerre la font tomber entre leurs mains, car à leurs yeux les enseignemens de l’église sont d’accord avec les intérêts de la politique : le sortilège est un crime de lèse-majesté divine, « et on doit tuer les sorciers comme on écrase les serpens, les scorpions et autres bêtes venimeuses, avant qu’elles aient fait un mouvement pour mordre. » Quant à Jeanne, elle ne démentira par aucun acte, par aucun mot, par aucune pensée, la confiance qu’elle a que c’est Dieu qui l’envoie. Femme, elle s’élève au plus haut degré de la chasteté chrétienne ; elle n’a que deux passions, deux passions au-