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ou bohémiens, et d’adresser à ses amis et aux fidèles de Prague des lettres tout empreintes d’une touchante résignation et d’une constance inébranlable. L’espoir qu’il avait nourri de confondre ses accusateurs dans une audience publique ne tarda pas à s’évanouir, quand il eut vu à quels adversaires il avait affaire. Il faut lire dais sa correspondance le récit des scènes violentes qui eurent lieu, lorsque seul et sans appui, il parut devant le concile, où l’on discutait sans vouloir l’entendre, sur des passages falsifiés de ses ouvrages, qui, écrits en bohémien, étaient inintelligibles pour ses juges ; où ses adversaires ne trouvaient à lui répondre que ces paroles : « Cet homme est hérétique. » Dès-lors, comme il refusa opiniâtrement de rétracter les doctrines qu’il avait enseignées, il ne douta plus du sort qui lui était réservé. En effet, le 5 juillet 1415, les pères du concile rendirent deux sentences par lesquelles ils condamnaient les livres de Hus à être brûlés, et leur auteur à être dégradé de l’ordre de prêtrise et livré au bras séculier.

Sa fermeté ne l’abandonna pas un instant, malgré les nombreux outrages dont l’accablèrent ses ennemis, qui, suivant ses propres paroles, « ne pouvaient s’accorder entre eux sur la manière de l’insulter. La cérémonie de sa dégradation accomplie, on lui mit sur la tête une mitre de papier haute d’une coudée sur laquelle on avait peint trois démons hideux, avec cette inscription Hérésiarque, puis on dévoua son ame à tous les diables. Le lendemain, 6 juillet, jour anniversaire de sa naissance, il fut, au nom de l’empereur, remis par l’électeur palatin au magistrat de Constance, qui l’abandonna immédiatement au bourreau, en ordonnant de le livrer au feu avec ses habits et tout ce qu’il portait sur lui. « Il marcha au supplice comme à un festin, » dit AEneas Sylvius.

La condamnation de Jean Hus, brûlé, mais non convaincu, disait Erasme, souleva en Allemagne et en Bohême une réprobation universelle contre l’église romaine, et alluma cette terrible guerre des hussites qui fit trembler Rome et l’empire. Pendant long-temps, les traditions populaires représentèrent comme poursuivies par la fatalité les familles des princes qui avaient pris part à cette iniquité. Cent quarante ans plus tard, l’électeur palatin Othon Henri-le-Magnanime, se voyant mourir sans postérité, disait que Dieu punissait sur lui le crime que son trisaïeul avait commis en livrant Jean Hus au supplice.

La traduction de M. de Bonnechose ne nous a pas toujours semblé assez fidèle. Il paraît avoir oublié qu’elle devait être d’autant plus littérale qu’elle était faite non sur le texte original mais sur une version latine. Pour compléter le tableau historique de cette époque, il pouvait du moins faire suivre les lettres de Jean Hus d’un plus grand nombre de notes ; ses précédens travaux lui en fournissaient le moyen. Nous regrettons de trouver cette lacune dans une publication intéressante.



V. de Mars.