Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 15.djvu/1088

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

D’ailleurs, la postérité nombreuse qui fait son orgueil lui permettait de suffire aux éventualités nouvelles. N’avait-il pas pour une alliance de famille des fils à offrir à l’Espagne ? Cependant l’Angleterre, qui avait avec nous reconnu le gouvernement d’Isabelle, se sépara de notre politique sur un point essentiel ; elle ne voulait consentir, en aucun cas, au mariage de la jeune reine avec un prince français. La restriction était considérable ; néanmoins elle fut acceptée. Notre gouvernement déclara que, s’il n’insistait pas pour unir Isabelle à un fils du roi des Français, il ne permettrait pas, du moins, que l’époux de la reine d’Espagne fût choisi ailleurs que dans la maison de Bourbon. Le mariage d’Isabelle avec le duc de Cadix témoigne que cette déclaration n’a pas été vaine, et il emprunte d’ailleurs de l’union que M. le duc de Montpensier avec la sœur de la reine une grande valeur politique.

Sur de pareilles questions qui touchent si puissamment à l’influence, à la grandeur de la France au dehors nous voudrions voir les partis et leurs organes porter toujours un jugement impartial, équitable. L’opposition ne s’affaiblit pas en montrant un esprit de justice ; elle s’honore et grandit en autorité. Quand lord John Russell, il y a quelques mois, applaudissait à la fermeté avec laquelle sir Robert Peel accomplissait à travers tous les obstacles la réforme des lois sur les céréales, se désarmait-il amoindrissait-il son propre parti ? Loin de là, il s’attirait l’estime de tous, et forçait son adversaire à le remercier de son équité généreuse. Dans les questions étrangères, les hommes d’état de la Grande-Bretagne nous donnent aussi l’exemple d’un patriotisme éclairé qui s’élève au-dessus de toute rivalité, de toute rancune. Si le parti, qui est aux affaires se montre heureux et habile au profit de l’orgueil et de l’intérêt britanniques, il n’a pas à craindre de l’autre parti, de ses compétiteurs, une opposition injuste ou inopportune : il aura ses éloges, ou du moins sont silence. D’ailleurs, les tacticiens politiques de l’autre côté du détroit ont trop d’expérience pour ignorer qu’un blâme sans réserve, sans restriction, étendu avec la même exagération à tous les actes d’un gouvernement, blase l’opinion au lieu de l’émouvoir. Cette intelligence, cette équité, nous voudrions la retrouver davantage parmi nous. ce n’est pas un des moindres progrès à introduire dans nos mœurs politiques. Quant à nous, nous avons assez souvent demandé au cabinet d’imprimer à sa politique extérieure une allure plus ferme, plus indépendante, pour ne pas craindre d’approuver les résultats qu’il promet dans la question espagnole. L’affaire a été bien conduite, il faut le reconnaître, il s’agit maintenant de la mener avec la même adresse au dénouement final.

Avant d’aller plus loin, avant d’examiner les dernières difficultés dont il reste à triompher, nous remarquerons que l’opposition peut d’autant mieux, dans cette circonstance, juger le cabinet avec impartialité, qu’elle a quelque droit de considérer la conduite suivie par le ministère comme un retour aux conseils qu’elle lui a souvent donnés. En effet, si l’opposition n’a jamais combattu le principe même de l’alliance anglaise, si elle l’a toujours proclamée nécessaire et désirable, en même temps elle a demandé au cabinet de ne pas faire de cette alliance une cause de sujétion dangereuse, et de maintenir sauve et entière l’indépendance de la France. Que de discours, que de commentaires remarquables depuis 1841 jusqu’à 1844 sur les caractères, sur les nuances, sur les effets de l’alliance anglaise ! N’est-il pas sensible que dans la question d’Espagne le cabinet s’en est