Roustam. L’artifice était grossier. Tant qu’il y avait eu du danger, tant que les armées anglaises prolongeaient au-delà des monts une lutte inégale et essuyaient revers sur revers, le pays n’avait point bougé. Et cependant il n’y avait eu pour le contenir qu’un tiers des forces jugées aujourd’hui indispensables, après la conquête, pour y conserver la paix. C’était à l’influence, à la loyauté de Mir-Roustam que nous avions dû cette tranquillité, et il nous avait d’ailleurs aidés d’hommes et d’argent selon l’étendue de ses moyens. Cette lettres ne pouvaient donc être de lui : elles avaient été écrites ou tout au moins dictées par Ali-Mourad, qui les avait lui-même interceptées ou tout au moins remises au colonel Outram, lequel venait de succéder à M. Ross Bell en qualité de chargé d’affaires. »
Le colonel Outram, diplomate aussi consommé que militaire distingué, n’avait malheureusement pas encore eu le temps de pénétrer tout le dédale d’intrigues qui entourait la cour de Khyrpour, ni de sonder l’atroce perfidie d’Ali Mourad. Il eut bien dès le premier moment quelques doutes sur l’authenticité des papiers et des signatures ; mais il les éclaircit que plus tard, et crut devoir déférer provisoirement à l’avis de ses collègues, auxquels il se réunit, non pour attribuer la faute à Mir-Roustam, mais pour en rejeter la responsabilité sur le ministre de ce prince et sur son entourage. Il proposa donc au gouverneur-général de châtier le wizir en l’expulsant du pays ; quant aux trois amirs compromis dans la correspondance, il conseilla de ne sévir contre eux que par une amende, en confirsuant une partie de leur territoire d’un revenu annuel de 13,000 liv. sterl.
Or, précisément à cette époque, lord Ellenborough méditait de nouvelles conquêtes et de nouvelles alliances. Ayant un ami à se faire du khan de Bahahaoualpour, il avait bonne envie de lui offrir un cadeau aux dépens des amirs du Sind. Poussé d’ailleurs par si Charles Napier, qui désirait avoir une province à gouverner, il saisit avidement l’occasion de dépouiller Mir-Roustam, et, au lieu de lui confisquer un dixième, il lui enleva les trois quarts de son territoire, en en réservant, il est vrai, une partie à titre d’apanage pour Ali-Mourad. Comme si ce n’était point assez de ces terribles amendes, on fit vis-à-vis du vieillard octogénaire un menaçant étalage de violence et de sévérité. Ali-Mourad, merveilleusement secondé par la brutalité de sir Charles Napier, ne négligea rien pour redoubler les terreurs de son frère et pour le pousser à la révolte, tandis qu’en même temps il instruisait le général anglais des préparatifs qu’il lui faisait faire et qu’il représentait comme hostiles. D’une part il persuadait à Roustam que le général voulait le priver de sa liberté après avoir achevé de le dépouiller de ses états, et de l’autre il disait à sir Charles que Roustam levait des troupes de tous les côtés pour attaquer les Anglais. Sir Charles ne fut pas long-temps dupe de ces intrigues, mais il avait intérêt à être trompé et feignit de l’être. Quant au pauvre vieillard, les choses en vinrent pour lui au point qu’après avoir abdiqué en faveur de son frère, et avoir cédé à celui-ci tous ses droits, il se vit ou il se crut dans la nécessité de s’enfuir au désert, où on le poursuivit comme une bête fauve. Après y avoir erré pendant près de six semaines avec quelques membres de sa famille et quelques centaines de serviteurs, sans autre abri qu’une petite tente pour le garantir des rigueurs de la saison et du climat, il dut enfin se livrer à la discrétion de ses ennemis. Ce pauvre prince qui, sans avoir commis le moindre