épouvanté de sa jeunesse, de son inexpérience, des maux du présent, des menaces de l’avenir, venait témoigner ses craintes au vieux confident, celui-ci souriait ; il rassurait le prince, lui disait que ces embarras n’étaient que difficultés communes aux règnes qui commencent, soucis ordinaires de la politique. Quand le roi venait s’en remettre à lui sur un projet, sur une réforme, sur un homme public dont l’état pourrait tirer quelque service, M. de Maurepas se contentait de répondre : « On peut en essayer. » Turgot fut le premier essai du nouveau règne.
Jamais réformateur n’avait montré moins d’empressement à rechercher le pouvoir ; jamais réformateur ne se fit moins illusion sur les difficultés qui l’attendaient. Appelé au contrôle-général après un court passage au ministère de la marine, sa première démarche fut de marquer au roi, dans une lettre, la conduite qu’il se proposait de tenir. Il sait qu’en imposant l’économie aux différens services, chacun d’eux ne manquera pas d’invoquer la faveur de l’exception. Il sait « qu’il sera craint, haï même de la plus grande partie de la cour, qu’on lui imputera tous les refus, qu’on le peindra comme un homme dur, que le peuple, aisé à tromper, l’attaquera pour les mesures mêmes qu’il aura prises en sa faveur. »
C’est le devoir qui détermina Turgot à accepter dans un moment si critique la responsabilité du pouvoir ; mais il faut que le dévouement soit avoué par la prudence, il faut qu’une entreprise présente des chances de succès. Cette condition ne manquait pas à Turgot. Si le dernier roi avait pu paraître l’image de la royauté décrépite corrompue, qui n’aurait cru voir dans ce prince jeune, pu, animé des intentions les plus libérales, l’image de la monarchie renaissante, l’espérance de la régénération du royaume ? Renouer cette antique alliance du roi et du peuple contre les corps privilégiés, accomplir la réforme sociale par le moyen d’une royauté respectée et puissante tel est le plan qu’avait conçu Turgot.
L’occasion de mettre ce plan à exécution ne tarda pas à s’offrir. Bientôt les courtisans présentèrent au roi, comme un moyen de popularité, le rappel de l’ancien parlement qu’avait exilé Maupéou. Turgot combattit la proposition avec force ; il montra que c’était relever une barrière et non créer un appui. Ce fut en vain. Maurepas, qui insistait pour le rappel, l’emporta, et, après la séance du conseil, le roi, qui venait de céder à son favori, se hâta de dire à Turgot : « Ne craignez rien, je vous soutiendrai toujours » Ce fut la première faiblesse du prince et la première faute du règne.
La tâche de Turgot était double : il avait à subvenir aux embarras financiers du royaume, à réaliser les réformes nécessaire. Ces deux parties de son œuvre, à beaucoup d’égards, étaient liées entre elles ; car, s’il est vrai qu’aux questions les plus élevées, les plus générales,