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excès. Ils ne s’étaient pas seulement décriés eux-mêmes, ils s’étaient mutuellement déshonorés. Dans une lutte ardente de prérogatives, chaque classe avait prouvé que la constitution des classes rivales était vicieuse, et ce point où chacune s’exceptait seule, l’opinion publique l’avait aisément étendu à toutes. Nulle société n’est possible sans la justice, au moins à quelque degré, et la justice était partout violée. Nul gouvernement n’est durable s’il ne donne en une certaine mesure satisfaction aux idées et aux besoins du temps, surtout s’il n’est supérieur à ceux qu’il gouverne. Au XVIIIe siècle, la nation était supérieure à ses chefs pour les mœurs et pour les lumières. Elle était appelée par le droit du plus digne à gouverner à son tour.

Ce changement s’opérera-t-il par la conciliation ou par la violence ? Y aura-t-il une réforme ? y aura-t-il une révolution ? Telle est la question que le nouveau règne était tenu de résoudre, car il fallait choisir. Il était naturel, dût-on s’arrêter dans cette route, qu’on essayât d’abord des concessions. Telle fut ou telle parut être l’intention de la nouvelle cour.

C’est M. de Maurepas qui appela Turgot au ministère. Deux cents ans auparavant, à la veille aussi d’une grande catastrophe, le cardinal de Lorraine avait fait admettre L’Hôpital dans les conseils de la royauté. Aux deux époques, on vit en présence la vérité et l’erreur, l’esprit d’opposition violente et rétrograde et l’esprit de conciliation ; on les vit représentés au pouvoir par deux hommes, sans doute afin que les chefs de la nation fussent clairement instruits des griefs et qu’ils n’eussent pas à rejeter la faute sur la fatalité.

Je ne crains pas de dire que M. de Maurepas fut le mauvais génie du nouveau règne. C’était un de ces hommes comme il s’en trouve toujours au déclin des monarchies, pour les pousser à leur ruine, d’autant plus dangereux que leur opposition aux besoins publics n’est pas toujours une flatterie, et qu’en trompant ils sont de bonne foi. Ces hommes, il ne faut pas trop les maudire. Quelquefois ils servent à leur manière les desseins de la Providence, car ils achèvent de perdre des situations désespérées. Souvent, il est vrai, ils contrarient ces desseins, en empêchant un rapprochement possible entre les partis ; mais, dans ce cas même, ils désarment la colère, et, par l’excès de leur folie, le philosophe qui les juge s’attendrit presque sur eux-mêmes.

M. de Maurepas n’était pas un homme profondément corrompu. Il avait même eu l’honneur d’être disgracié pour son opposition aux maîtresses. Ce n’était pas un ennemi du progrès et du peuple ; il n’y avait jamais songé. Rien ne prouve même qu’il ne fût de bonne foi quand il appelait Turgot aux affaires sur la désignation de l’opinion publique et de Mme la duchesse de Maurepas ; mais son esprit était frivole, ses idées mobiles. C’est ce qui commença de tout perdre. Quand Louis,