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eurent donc une littérature qui ne se pouvait comparer à aucune autre, et qui, marquée du sceau d’un enthousiasme ardent, était consacrée tout entière à la mise en scène de la personnalité divine. C’est toujours Jéhovah qui parle ou dont il est parlé. Plus tard, les monumens de l’ancienne loi eurent dans l’Évangile une suite admirable, les croyances nouvelles des régénérateurs de l’hébraïsme furent consignées dans un autre testament, et ces deux développemens du génie d’un même peuple formèrent le livre par excellence dont pendant des siècles l’humanité dut se nourrir en oubliant, en ignorant tous les autres.

Il y eut ceci de fécond dans le christianisme, c’est que la doctrine de l’amour de Dieu pour les hommes et de l’homme pour Dieu contenait nécessairement le principe de la liberté. Une religion qui provoquait sans relâche l’ame humaine à se tourner vers la nature divine, à se confondre avec elle, ouvrait à l’homme l’infini et le lui livrait comme son légitime domaine. C’est par ce point fondamental que le christianisme, au-delà de ses croyances positives et de ses dogmes arrêtés, s’accorde avec la plus haute philosophie. Quel monde attendait le génie de l’artiste ! Des types que le polythéisme n’avait pas connus, comme la sainte famille, la Vierge mère de Dieu, le Christ mourant pour l’humanité, puis, par-dessus tout cela, le sentiment de l’infini.

Pour cultiver un pareil champ, des hommes nouveaux parurent sur les théâtres connus de l’histoire. L’Italie, l’Espagne, la Gaule, furent inondées, puis possédées par des peuplades et des races que le Rhin et le Danube en avaient long-temps séparées. C’étaient les ancêtres des poètes modernes qui arrivaient. Ces ravageurs avaient leur poésie ; ils avaient leurs chants de guerre, de religion et d’amour. Quand Tacite, qui le premier a introduit la Germanie dans l’histoire, termine le second livre de ses Annales par la mort d’Arminius, il ajoute : « Arminius est chanté encore aujourd’hui chez les nations barbares ; cependant il est inconnu des Grecs, qui n’admirent jamais que ce qui leur appartient ; chez nous, Romains, il est trop peu célèbre ; nous n’avons d’enthousiasme que pour le passé : le présent nous trouve indifférens et dédaigneux… Caniturque adhuc barbaras apud gentes ; Groecorum annalibus ignotus, qui sua tantum mirantur : Romanis haud perinde celebris, dum vetera extollimus, recentium incuriosi. » Se figure-t-on l’effet qu’eût produit à Athènes un voyageur apportant des bords du Danube la traduction d’un chant germanique, et à Rome qu’eussent pensé d’une pareille importation les beaux esprits qui assistaient aux lectures que Stace faisait de ses vers ? Cependant ces barbares avaient non-seulement l’impétuosité du conquérant, mais le souffle poétique. Si l’imagination des Germains était grossière, elle était libre : ils avaient sur la Divinité des croyances naïves : point de caste sacerdotale ; la patrie était surtout pour eux la famille, qui suivait son chef dans les