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signes, véritables images de sons, il essaie de les appliquer aux parties du discours autres que les noms propres, et s’il trouve, par exemple, que l’image d’un cheval est précédée du groupe de lettres cheval, celle d’un croissant de lune des lettres lune, ne sera-t-il pas en droit de conclure que ce sont bien là des groupes de lettres formant les mots cheval et lune qu’il connaît comme appartenant à la langue française ? Ne pourra-t-il pas affirmer de plus que, ces groupes d’articulations prononçables étant suivis des images des êtres ou des objets désignés, ceux-ci ne sont placés là que pour déterminer nettement le sens des mots fournis par les caractères alphabétiques ? Si maintenant, dans une phrase dont tous les mots seront déterminés, il trouve l’image d’un cheval non précédée des lettres cheval, dont cette image formait précédemment le déterminatif, ne sera-t-il pas en droit de conclure aussi que cette image n’est plus cette fois qu’un signe idéographique, isolé du groupe prononçable qui l’accompagnait, pour abréger la besogne du scribe, mais comportant exactement la même consonance ? Ceci n’est pas douteux.

Évidemment il ne sera pas plus difficile de reconnaître les caractères du pluriel des noms, les formes des temps et des personnes des conjugaisons, à l’aide de la comparaison des divers états par lesquels passera un même groupe radical, suivant les positions dans lesquelles il se trouvera mis en jeu, puisque ces positions seront très nettement déterminées à l’avance par la lecture du texte connu dont le texte à déchiffrer est la traduction certaine.

Je le demande maintenant à tout lecteur de bonne foi : quand tant de points de repère auront été fixés dans l’étude de l’écriture et de la langue à chercher, quelle sera la difficulté grammaticale qui pourra résister à l’analyse ? En un mot, n’aurait-on pas plus de raisons de s’étonner de ce qu’un texte soumis dans de pareilles conditions à une analyse intelligente resterait lettre close pour celui qui l’entreprendrait ? Eh bien ! toutes ces suppositions gratuites ne le sont plus dès qu’il s’agit de la langue et des écritures égyptiennes. Toutes les données favorables que j’ai énumérées dans mon hypothèse venaient en aide aux déchiffreurs de l’égyptien ; toutes les opérations analytiques que j’ai brièvement décrites, ils les ont appliquées d’abord à des noms propres comme Ptolémée, Bérénice, Arsinoë, puis à toutes les parties du discours, et, s’ils n’eussent réussi qu’à entasser à plaisir mensonge sur mensonge pour créer des théories imaginaires, il y aurait long-temps que ces théories seraient renversées et tombées dans l’oubli. Il n’en a rien été, parce qu’il n’en pouvait rien être ; les attaques les plus vives n’ont fait que mettre en saillie la vérité des résultats énoncés, si bien que parmi les antagonistes se sont souvent recrutés des prosélytes. Quant aux adversaires systématiques, je n’ai plus qu’un mot à dire, et ce mot, le voici.