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cœur. La science qu’il leur avait départie avec tant de bienveillance, avec tant de tendre sollicitude, ne devait plus périr ; elle était désormais du domaine public, et quiconque aurait le désir de s’y initier le pourrait assurément avec le secours seul des ouvrages que Champollion avait légués au monde savant[1]. Et pourtant, il faut bien le dire, ce fut à Champollion mort que les critiques les plus amères furent adressées. Dès qu’il ne fut plus là pour soutenir la discussion des faits qu’il avait dévoilés, la réalité de ces faits fut attaquée, timidement d’abord, puis avec une énergie qui put souvent passer pour de la brutalité.

Quelques hommes de savoir se posèrent en ennemis déclarés des nouvelles idées émises par Champollion ; le premier fut le docteur Dujardin, qui prononça sur les théories de Champollion un jugement attaquable dans le fond, bien que mesuré dans la forme[2]. Malheureusement le docteur Dujardin avait négligé d’étudier ces théories sur les monumens mêmes, et il se vit forcé de se déclarer convaincu de la réalité des faits qu’il avait hautement révoqués en doute, aussitôt qu’il passa de l’étude à l’application. Très habile dans la science du copte, Dujardin avait reçu du gouvernement la mission d’aller en Égypte recueillir des monumens de cette langue. Ce fut en Égypte qu’il reprit l’examen des livres de Champollion, et qu’à l’exemple de Salt il finit par adopter tous les principes qui s’y trouvaient établis. Une misère profonde avait si long-temps pesé sur Dujardin, qu’il ne lui restait pas assez de forces pour supporter l’action du climat de l’Afrique. Il périt peu de temps après son arrivée au Caire, au moment même où la mauvaise fortune semblait s’être lassée de le poursuivre.

Si Dujardin était de bonne foi en publiant sa critique, l’homme qui l’avait précédé dans la même voie ne peut revendiquer cet éloge : à celui-là il ne doit rester que du blâme. Le philologue Klaproth, chassé de la Russie et de la Prusse, était venu chercher en France un asile que son propre pays ne lui offrait plus. Accueilli avec distinction par les savans français, Klaproth ne trouva rien de mieux, pour leur prouver sa reconnaissance, que d’attaquer une découverte qui faisait honneur à la France, et, en désespoir de cause, d’attribuer toute la gloire de cette découverte à l’Angleterre. Pour Klaproth, Young avait découvert la clé des hiéroglyphes ; Champollion n’était que le plagiaire de Young, et le sujet des études de ces deux émules était assez futile pour que la gloire qu’ils pouvaient se disputer fût de mince étoffe ! Puis, par une aberration étrange, pensant probablement que plus on montre d’outrecuidance,

  1. Depuis la mort de Champollion, quelques-uns des ouvrages qu’il avait laissés manuscrits ont été publiés par les soins de son frère. Dans tous, on retrouve le cachet du génie dont il savait empreindre ce qu’il écrivait ; mais dans tous aussi on reconnaît que les corrections du maître ont fait défaut.
  2. Le travail de M. Dujardin parut dans cette Revue, livraison du 15 juillet 1836.