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vait consacrer sa vie tout entière. À l’apparition des premiers résultats obtenus par le savant anglais, Champollion se hâta de les contrôler par lui-même. Il reconnut sur-le-champ la stérilité de la découverte proclamée, et, pendant des années entières, cette stérilité le fit désespérer du succès et révoquer en doute le phonétisme des signes dont on croyait avoir déduit les valeurs de l’analyse des noms de Ptolémée et de Bérénice. Pour que ces valeurs fussent inapplicables aux autres noms propres, il fallait, ou bien que l’analyse eût été mal conduite, ou bien que le phonétisme fût une illusion. Cette dernière pensée fut d’abord la sienne ; puis, par une de ces inspirations soudaines qui n’appartiennent qu’au génie, il pensa que le principe du phonétisme était peut-être plus large que ne l’avait supposé Young lui-même, et dès-lors il se résolut à reprendre l’analyse qui, dans le cas où il eût deviné juste, devait être entachée de défauts qu’il lui serait peut-être facile de reconnaître et de rectifier. Il ne s’était pas flatté d’un vain espoir. Il entrevit nettement et clairement le rôle des articulations hiéroglyphiques qui constituaient les mêmes noms de Ptolémée et de Bérénice. Au lieu d’attribuer à quelques-uns des signes des valeurs complexes ou syllabiques, comme l’avait fait Young, il ne voulut adopter que des valeurs purement articulaires et dégagées de toute voyelle ; il devina qu’il en était très probablement de l’ancienne écriture des Égyptiens comme de toutes les écritures sémitiques dans lesquelles les voyelles n’étaient pas exprimées, et dès-lors il fut maître du plus beau domaine scientifique qu’il ait jamais été donné à un homme de conquérir. De ce moment, Champollion marcha d’un pas assuré et rapide de découvertes en découvertes. Tous ces encadremens elliptiques, qui, à en juger par les noms royaux déjà reconnus, contenaient d’autres noms de souverains, furent soumis à l’application de l’alphabet rationnel qu’il avait déduit de son intelligente analyse, et en peu de temps il reconnut avec une joie immense, avec une joie qui faillit le tuer, que tous les signes qui composaient ces noms propres comportaient un son fixe et déterminé comme les caractères de tout alphabet, et que cet alphabet était contemporain des Pharaons eux-mêmes, dont les noms et les titres cédaient sans effort à son analyse. L’opinion de Young, qui voulait que les noms des personnages étrangers fussent seuls phonétiquement exprimés, croulait donc d’elle-même devant des faits patens, incontestables. À peine remis de la violente émotion que lui avait causée l’éclat de sa découverte, Champollion s’était hâté de la consigner dans la lettre qu’il adressa à M. Dacier sur les hiéroglyphes phonétiques. Je renonce à peindre l’enthousiasme qu’excita dans le monde savant l’apparition de cet écrit remarquable, où la sagacité, la bonne foi et le savoir éclataient à chaque ligne. De ce jour, Champollion fut jugé par tout lecteur consciencieux. À lui,