obtenir de la ruse, de la perfidie, et de leur habileté à se ménager des intelligences dans tous les partis. Ce long espace, dont les défenseurs naturels, par timidité et prudence, ne veulent pas garder les passages, et que nous ne pouvons faire surveiller rigoureusement et long-temps par notre cavalerie, puisqu’on ne peut y nourrir les chevaux des produits du sol, est comme un bras de mer sans ports d’observation, où l’ennemi navigue sûrement et secrètement, pourvu qu’il se tienne hors de portée et hors de vue des promontoires de la côte.
C’est en effet par le Sersou qu’Abd-el-Kader arriva pour prendre à revers toutes les tribus que nous venions de comprimer ou d’apaiser. Longeant à distance la lisière du Tel, et se conformant à tous nos mouvemens, il nous devançait chez les populations ou nous y suivait, selon les besoins de sa politique, pour y prévenir ou y effacer les effets de notre présence. Serré de trop près, il s’échappait vers le sud, chez ces tribus trop nombreuses pour que nous puissions y pénétrer avec une colonne incomplète, trop pauvres en grains pour que nous puissions y conduire, à moins de préparatifs spéciaux, un corps régulièrement composé, mais où l’émir, accueilli en hôte si ce n’est en maître, recevait le nécessaire pour sa petite troupe de cinq ou six cents cavaliers. Quand ses chevaux s’étaient fatigués en fatiguant les nôtres, il les conduisait par cette grande route du Sersou, toujours ouverte, vers la pointe est des Chotts, où d’avance on lui avait amené des combattans et des montures frais et reposés.
Ainsi, après avoir couru pendant deux mois après les tribus fugitives, les troupes, pendant deux autres mois, coururent après Abd-el-Kader. Il s’agissait tantôt de se jeter entre lui et des alliés fidèles qu’il menaçait, tantôt de barrer le passage à des populations que ce rude pasteur d’hommes cherchait à pousser, comme de grands troupeaux, vers la frontière du Maroc, toujours d’étouffer dans leur germe des événemens qui, abandonnés à eux-mêmes et sans compression, auraient pris un développement funeste. Tandis que les Français poursuivaient une tâche à peu près négative pour éviter un mal, plutôt que pour obtenir un succès, l’ennemi, au contraire, libre dans ses directions et certain, en quelque endroit qu’il se portât, de nous nuire, ne fût-ce que par sa seule présence, marchait toujours armé d’un projet à double tranchant. S’il l’émoussait d’un côté sur un obstacle que nous lui opposions, il le retournait et frappait dans un autre sens un coup qui nous blessait.
C’est ainsi que dans les premiers jours de février Abd-el-Kader était lancé en pleine opération à travers ces flots de populations méridionales, qui, comme une mer baignant deux rivages, touchent à la fois aux limites sud du Titeri et aux limites sud-ouest de la province de Constantine. De là il pouvait se jeter, selon l’occasion, sur la Medjena, le Hodna, le Jurjura, et sur nos alliés au sud de Boghar. Il avait d’ailleurs un intérêt